Le jeu du sayan

En dépit des ambitions relativement faibles de ses indigènes, la planète Namek s’était trouvée être au fil des décennies le terrain d’affrontements récurrents de forces aliens dont la simple présence relevait bien souvent du plus pur hasard. Aujourd’hui encore, la tranquillité des archipels verdoyants serait troublée par un conflit qui ne la concernait en rien. En effet, l’harmonie du paysage fut soudainement brisée par l’apparition d’un portail mauve duquel jaillirent une femme puis un homme bloqués dans une étreinte guerrière. Bien vite, le quasi-projectile humain percuta le sol avec moins de force qu’on ne l’aurait cru en raison, sans doute, de la décélération soudaine de celui qui semblait donner le tempo de cette danse martiale.

Désormais assis sur le dos de la démone, ses jambes immobilisant ses bras, Riki plaqua sa main gauche sur la tempe de la magicienne et leva le poing au-dessus de sa tête. Il se voyait déjà abattre le poing une fois, dix fois, mille fois, peut-être un million de fois, autant de fois qu’il le faudrait pour que le crâne de Poutine et le sol qu’elle avait touché soient réduits en cendres et que les tsunamis engendrés par les chocs diluent à jamais son sang impur dans les profondeurs de l’océan sans fin de la planète verte. Autant de fois qu’il le faudrait pour que toutes traces de son existence dans cet univers et dans les autres soient proprement effacées, et autant de fois qu’il le faudrait pour que tous ses congénères comprennent enfin qu’il était temps pour la terreur de changer de camp. Elle aurait dû payer. Pour ses actes, pour ceux de ses confrères, pour ceux de ses supérieurs et pour ceux de ses laquais. C’était ainsi que Riki s’était toujours occupé des démons, à tel point qu’il faillit, au déclenchement de cette extase meurtrière désormais si commune, oublier la raison même de sa présence sur Namek et céder à cette pointe de folie. Mais il ne pouvait se le permettre, pas maintenant, le carnage devait attendre.

Ce n'étaient pas ses pulsions qui l’avaient mis dans cette position, mais bien une évaluation stratégique de ses capacités et de ses objectifs. Poutine était mal en point et, pour l’instant, à sa merci. Si le sayan avait simplement accepté de retourner aux côtés des autres forces de Mechikabura, ce dernier aurait cherché à exploiter le momentum octroyé par la défaite de Shroom et potentiellement remporté une victoire bien trop écrasante. Riki avait rejoint le conflit dans l’unique but de tuer des démons, mais il n’avait jamais annoncé penser petit. Son but était l’éradication totale des anciens serviteurs de Drichi ou, a minima, du conseil des six. A ce rythme, il doutait sérieusement ses chances, et il lui avait donc fallu prendre une décision. Son choix était simple: les putschistes et les loyalistes étant désormais sur un pied d’égalité, il laisserait le conflit s’éterniser dans les royaumes démoniaques tout en préparant son retour au moment opportun. Il aurait bien sûr pu suivre cet exact plan sans kidnapper Poutine, mais il espérait tirer de certaines de ses possessions un avantage décisif. Pour les obtenir, il utiliserait la plus grande arme des démons contre eux.

“Maintenant que nous sommes à nouveau seuls, j’ai une proposition à te faire.”

Le sayan s’efforçait de réprimer un sourire presque dément. Bien qu’il était frustré de ne pas pouvoir exécuter sa prisonnière sur le coup, cette inversion des rôles habituels lui procurait une certaine satisfaction.

“Aussi ironique que cela puisse te sembler démone, tu vas pactiser avec moi.”

Le pacte est de loin l’outil le plus utilisé par les démons, un accord en théorie équitable mais souvent largement plus avantageux pour les créatures infernales que pour les mortels, ce qui contribue par ailleurs au plaisir qu’en retirent les abominations. Il en existe d'innombrables formes parmi lesquelles on retrouve le classique contrat écrit ou encore les masques de timebreakers. Leur seul dénominateur commun est qu’ils sont passés avec un démon ou sous la supervision de l’un d’eux dans le cas des rares contrats démoniaques entre mortels. Une rupture volontaire du pacte ainsi formulé entraîne en général de lourdes conséquences pour la partie coupable dont les effets exacts varient en sévérité et en instantanéité en fonction de facteurs que Riki n’a de toutes façons pas vocation à comprendre en détail. Ce dernier connaissait déjà la méthode parfaite pour la situation, et l’annonça alors qu’il portait sa main à sa ceinture.

“Ce chiffon issu du kit de premier soin que tu as conjuré plutôt est encore imbibé de ton sang. Je m’en servirais pour sceller ce pacte temporaire sitôt que tu l’auras accepté, la magie qui l'habite devrait pouvoir faire le reste. Il est bien sûr hors de question de directement mélanger notre hémoglobine et d’autoriser le sang de l’autre à circuler dans notre corps, cela équivaudrait dans le meilleur des cas à nous lier pour une trop longue durée et dans le pire à me placer sous ton contrôle.”

Après avoir agité le tissu à bout de bras à sa droite, le guerrier le replaça dans sa ceinture.

“Les termes de ce pacte sont simples. Je m’engage à ne pas te tuer dans les vingt minutes qui viennent si tu conjures au cours de ces dernières les trois plus puissantes armes sacrées de ton arsenal. Je ne veux pas d’objet, mais bien des armes, utilisables en tant que tel contre n’importe quel être mais dotées de cet aspect qui semblait tant interloquer Shroom. Lorsqu’elles auront été invoquées, tu couperas définitivement tout liens magiques ou spirituels qui te lient à ces armes et te permettent de les invoquer si c’est bien de cette manière que tu procèdes. Tu ne rétabliras pas ces liens. Si tu honores cet engagement, je te laisserais quitter les lieux en vie. Inutile pour moi de te rappeler le sort qui nous attend si tu acceptes ce pacte et que toi ou moi décidons de ne pas le respecter.”

Riki marque une pause.

“Tu as quinze secondes pour y réfléchir. Si tu ne ne me donne aucune réponse au terme de ces dernières, tu mourras.”

Un sourire sordide prit place sur le visage de Riki alors que sa prisonnière tentait de le convaincre qu’elle avait en réalité le contrôle de la situation. Elle ne semblait pas le réaliser, mais son entière logorrhée était basée sur de faux prémisses. Bien qu’il ait promis de l'exécuter au bout de quinze secondes sans réponses claires, il serait dommage pour lui de perdre l’accès aux fantastiques atouts qu’il avait tenté de s’accaparer à cause d’une bête incompréhension. Parvenu à la fin du discours de Poutine, le sayan relâcha très légèrement la pression qu’il appuyait sur sa tête.

“J’apprécie l’inquiétude dont tu sembles faire preuve à mon égard mais elle n’est pas nécessaire. Ton arsenal est puissant, j’en ai bien conscience, et je saurais l’utiliser avec le plus grand soin, sois-en sûr.”

Il releva un instant la tête pour s’assurer qu’ils ne risquaient pas d’être interrompus.

“Tu sembles par ailleurs mal comprendre mes intentions. Je ne combats pas les tiens pour sauver les mortels, mais simplement pour éradiquer ceux qui en ont déjà tant trompé et tué tant pendant plusieurs millions d’années. Que Kaito détruise quelques planètes si ça lui chante: elles sont insignifiantes dans le grand ordre des choses. De telles actions permettraient même aux mortels de s’allier pour éradiquer définitivement la menace que vous représentez. Si Drichi a été vaincu à pleine puissance, il ne fait aucun doute qu’un usurpateur possédant moins de la moitié de ses forces le sera aussi.”

Riki fit exploser son ki pour montrer à Poutine à quel point il était sérieux. Elle avait sous-estimé sa détermination une fois, et serait bien sage de ne pas refaire cette erreur.

“Ainsi donc, démone, tu surestimes grandement l’importance que j’accorde à ta vie. J’aimerais pouvoir éviter aux mortels un trop grand bain de sang, mais s’il faut passer par là pour mettre fin à des millions d’années de destruction et de menace envers tout ce qui est, fut et sera, alors qu’il en soit ainsi. Leur sacrifice sera honoré.”

L’aura du guerrier se fit plus discrète alors qu’il réitérait sa proposition pour la dernière fois.

“Mais nous n’en sommes heureusement pas encore là, n'est-ce pas ? Acceptes-tu ce pacte, Poutine ? Acceptes-tu de t’engager à invoquer les trois plus puissantes armes sacrées de ton arsenal, à couper tout lien que tu aurais avec elle et à ne plus t’en servir en échange d’une trêve commune et de mon engagement à ne pas t'exécuter jusqu’à ce que nous ayons tous deux quitté les lieux ? C’est là ta dernière chance d’accepter.”

Face à la résignation de sa prisonnière, Riki lévita afin de la laisser se relever. Il atterrit à quelques mètres seulement et mit immédiatement la main à sa ceinture pour en extraire le tissu imbibé de sang.

"Eh bien, tu n'y accorde peut-être pas beaucoup d'importance mais moi oui. Tu as donné ton accord..."

Le sayan mordit avec force le dos de sa main et fit tomber quelques goutes de son propre sang sur le chiffon.

"... et moi aussi. Les rares règles qui régissent la race chaotique à laquelle tu appartient devraient se charger d'officialiser le tout. Bien sûr, il serait préférable pour chacun d'entre nous que nous ne le sachions jamais."

Là, Riki demeura droit comme un "I", divisant comme il le pouvait son attention entre son environnement et les moindres gestes de Poutine. S'il supposait qu'une promesse couplée à un déclencheur traditionnel de pacte devrait suffire à contraindre sa vis-à-vis, il restait conscient du fait que la démone récupérait son endurance bien plus vite que lui. La blessure de sa potentielle adversaire devrait en théorie garantir au guerrier de l'espace une victoire relativement simple en cas d'imprévu bien sûr, mais il avait appris à ne jamais sous-estimer ces créatures infernales.

Il ne répondit pas à la requête de Poutine, considérant que sa dernière action parlait d'elle même, et resta donc immobile à quelques mètres seulement de la démone, prêt à bondir à l'instant où elle entreprendrait de briser le pacte, même s'il se doutait bien que la punition qu'elle pourrait subir dépasserait de loin ses capacités dans l'instant. Ainsi débutèrent les plus longues minutes de la vie du sayan.

Poutine semblait particulièrement inquiète quant à cette notion de pacte, mais semblait cependant bien rechignante à lui indiquer une meilleure manière de procéder. Il avait bien du mal à croire qu’un démon aussi ancien serait prêt à opérer sur la base d’une confiance mutuelle. Pour autant, les effets secondaires décrits l’indisposaient quelque peu, et il voulait voir jusqu’où il était capable de négocier sans épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Ainsi, la démone conjura une à une des armes plus uniques les unes que les autres.

La première fut la lance d'Hadès, capable de capturer les âmes des individus abattus par son acier. Elle était elle-même de belle manufacture, mais il ne faisait aucun doute que c’était bien cette capacité qui l’avait rendue digne de l’attention de Poutine, bien que Riki ait bien du mal à comprendre ce qui pouvait lui faire penser qu’il désirait capturer et non annihiler l’âme de Majin Kaito. Quand bien même, cette arme avait une certaine histoire et contenait sans nul doute les âmes de nombres êtres de différentes époques et de différents niveaux. Il apparaissait en revanche qu’elle était particulièrement têtue et que son propriétaire originel en était à la recherche. Riki envisagea un instant de l’utiliser pour pourfendre la démone sur le champ avant d’expédier l’arme à ce fameux Hadès pour qu’il ait tout le loisir de tourmenter la voleuse, mais il se ressaisit bien vite: les vrais sayans devaient faire les vraies choses et il n’avait pas de temps à dilapider dans de morbides blagues.

La seconde arme, dénommée Zulfikar, était une épée courbée terminée de deux pointes et couverte d’écritures illisibles pour le guerrier de l’espace. Bien heureusement, Poutine continuait son exposé, et l’informa bien vite de l’utilité de l’épée. Quasi strictement anti-démon, le sabre ne pouvait apparemment être utilisé que par des “êtres aux intentions valeureuses”, quoi que cela veuille dire. Si Poutine en était capable, il s’agissait soit d’un bluff soit d’une drôle d’interprétation de la valeur, mais que pouvait-on de toute façon bien attendre d’autre d’un artefact si ancien. Désireux de faire remarquer l’incohérence à sa prisonnière, Riki haussa les yeux au ciel en commentant sa dernière affirmation.

“Quelle chance, je n’ose imaginer à quel point elle serait dangereuse entre les mains d’un “être au cœur mauvais agissant contre l’intérêt de l’ordre” qui l’intègrerait ensuite à son arsenal rempli d’autres artéfacts légendaires.”

Il existait bien sûr toujours la possibilité que Poutine soit quelque chose de plus. Shroom lui-même avait semblé choqué de sa capacité à manier ses outils sacrés dans leur bataille qui s’était déroulée il y avait seulement quelques minutes. Riki réprimait pour l’heure cette hypothèse, craignant qu’elle ne complique plus encore les choses: si Poutine agissait comme un démon et au service d’un démon, alors il la considèrerait comme telle.


La dernière arme qui lui fut présentée n’en était pas vraiment une. Il s’agissait selon les dires de son ex-propriétaire d’une sorte d’archive universelle et d’un outil de contrôle mental. La Pomme d’Éden était à la fois l’outil le plus singulier et le plus puissant qui lui avait été présenté, car si un grand philosophe a un jour dit: “le savoir est une arme, 3 calibres sur moi j'suis très intelligent”, il était bien évident que tout l’arsenal physique du monde aurait bien du mal à permettre à Riki de prendre l’avantage sur des démons capables d’accumuler du savoir sur des dizaines de millions d’années. Son deuxième effet, bien que moins utile à son sens, pouvait s’avérer lui aussi diablement efficace s’il était bien utilisé. Restait à garantir que la démone ne rappelerait pas ses armes à elle à l’instant où elle quitterait les lieux.

“Bien, maintenant que tout est là, comment puis-je être certain que ces armes ne seront pas ramenées à toi à l’instant où tu te téléporteras en sécurité autrement qu’en te tuant ici et maintenant ? Peux-tu couper le lien qui t’y unit ou me prouver d’une quelconque manière que tu es incapable de les récupérer en claquant des doigts.”

Toujours fermement dressé et prêt à bondir, Riki attend la réaction de la démone.

Riki ne put s'empêcher d'émettre un sourire narquois face à la piètre défense de Poutine. Il était certain que les millions d'âmes détruites au travers des âges par sa main ou de sa propre responsabilité devaient exprimer le plus grand des soulagements. Elle venait après tout d'affirmer agir pour le bien ! Il en aurait presque été ému si la situation n’avait pas été aussi tendue, mais il avait présentement d’autres chats à fouetter, parmi lesquels ne pas répondre aux questions de Poutine. Cette dernière, après lui avoir assuré qu’elle n’était pas liée magiquement aux plus puissantes pièces de son arsenal, avait semblé vouloir savoir ce qu’il ferait des artefacts qu’elle lui avait présentés, doutant même de sa capacité à les manier. Qu’elle ait ou non raison, cela ne la concernait en rien, et il en valait de même pour ses objectifs immédiats et à long terme. Le guerrier se rapprocha pas à pas de son otage et des armes posées au sol.

“Tu peux rentrer chez toi, Poutine. Retourne à ton maître, il ne fait nul doute qu’il aura du travail pour son esclave favorite. Nos petites escapades s’arrêtent ici.”

Sur ces mots, il approcha lentement sa main de la lance, avant de l'empoigner. L’air sembla s’alourdir autour de lui alors que Riki ressentait désormais une violente hostilité irradier de l’arme qu’il tenait. Convaincu de son authenticité, au moins partielle, il relâcha l’arme et attendit, satisfait, le départ de la démone.

Il était enfin seul. Riki avait vaincu, et toute l’aigreur de la prisonnière n’aurait pas suffit à lui retirer la satisfaction qu’il éprouvait. Après près d’une décennie d’esclavage et de torture, il avait brisé ses chaines, et arraché à l’une de ses tortionnaires quelques uns de ses plus puissants artefacts. Il ne comptait bien sûr pas s’arrêter là, mais l’heure n’était pas encore à la vengeance: il lui fallait désormais trouver des alliés. D’autres mortels abusés et meurtris par les démons ou par toute autre force étrangères qui faisait des habitants de cet univers leurs proies. Plus tôt déjà, sa route avait croisé celle de l’un de ses congénères, visiblement poussé à bout par un autre démon majeur. S’il avait survécu depuis qu’ils avaient été séparés, il ne faisait nul doute qu’il constituerait un camarade de lutte de choix dans un futur proche. Peut-être serait-il à même d’utiliser avec aisance les armes que Poutine semblait croire Riki incapable de manier.

La lance d’Hadès étant dotée d’une personnalité propre, Riki ne doutait en rien de sa capacité à la convaincre, mais cela semblait plus compliqué pour l’épée sacrée invoquée par la démone. Était-il réellement plus vil en son cœur que Poutine, seigneur démoniaque de plusieurs millions d’années ? Impossible, elle devait avoir menti. S’approchant avec hésitation de Zulfikar, le guerrier tendit sa main vers la poignée du sabre, puis l'empoigna avec entrain en essayant de le lever. Sans pour autant qu’il n'ait l'impression de se brûler, le sayan ressentit une désagréable chaleur irradier contre sa paume. Par ailleurs et en dépit de tous ses efforts, l’arme restait désespérément collée au sol. Riki retira sa main et se releva de tout son long. Poutine devait avoir trouvé une astuce, il ne pouvait en être autrement. Riki n’avait jamais tué que pour se défendre ou pour défendre les siens, et ses plus récentes meurtres avaient été commis sous l’influence du masque de Drichi: il refusait d’admettre la possibilité que l’arme le rejette sur ce seul critère alors qu’elle avait accepté d’être maniée par sa dernière propriétaire, dont les exactions éclipsaient de loin toutes celles que le guerrier avait pu commettre pendant ses 7 années de possession.

Il doutait cependant d’avoir le temps de trouver en un éclair l’astuce utilisée par la magicienne, ou simplement d’être capable de la répliquer, et dû donc penser à autre chose. La Pomme d’Eden pourrait bien lui permettre de trouver une faille dans la logique de l’artefact, mais il redoutait encore les effets secondaires décrits plus tôt par la démone, et souhaitait d’abord se familiariser avec le dispositif avant d’avoir à y recourir. Son regard se reporta ainsi naturellement sur la lance d’Hades, toujours fermement plantée dans le sol. Poutine avait mentionné sa capacité à conserver et à soumettre les âmes fauchées. Peut-être avait-elle en réserve quelqu’un capable de l’aider. D’un pas assuré, le guerrier de l’espace s’en rapprocha avant de l'agripper fermement. Immédiatement, la lance entreprit d’émir à nouveau cette pression si particulière qui avait assaillit Riki quelques instants plus tôt. Cette fois-ci, il garda le manche bien en main.

“Je viens t’offrir un marché: tu peux rester à tout jamais au fond de l’océan qui nous entoure…”

La pression s’accrut, à tel point que les pieds du guerrier s’enfoncèrent légèrement dans le sol: la lance était furieuse.

“... ou bien tu peux me laisser d'utiliser librement le temps d’une mission, après quoi je te ramènerais à ton propriétaire initial.”

L’air sembla s’alourdir une nouvelle fois, forçant Riki à poser un genou à terre. Sans qu’aucun mot ne s’en échappe, le guerrier de l’espace comprit que l’arme avait entendu des promesses similaires bien des fois, mais le rescapé ne comptait pas s’arrêter là.

“Le tout bien sûr, avec les âmes de ta précédente détentrice et de ses congénères. De quoi satisfaire ton maître lorsque vous serez réunifiés n’est-ce pas ?”

La pression resta cette fois similaire, tant et si bien que Riki commençait à se sentir glisser dans l’inconscience, avant qu’elle ne s’arrête brutalement. Toujours sans un mot, la lance semblait avoir accepté, tout du moins temporairement, la proposition du guerrier. Laissant échapper malgré lui un soupir de soulagement, Riki se redressa tout en gardant l’arme en main.

“Bien, en espérant que notre partenariat sera court et fructueux donc. J’ai besoin d’une âme pure, valeureuse, noble. Tu dois bien en avoir quelques unes n’est-ce pas ?”

Comme à son habitude, l’artefact resta d’abord muet, puis vrombit soudainement alors qu’une sorte de spectre s'échappait du sol tout près. Le sayan ne savait alors pas bien à quoi s’attendre. Suffisait-il que la lance lui obéisse pour que les âmes qu’elle contienne en fassent de même ? Qu’en était-il de l’étendue exacte des capacités de ces âmes ? Pouvaient-elles seulement interagir physiquement avec leur environnement ? Sans doute incomberait-il à leur maître de poser directement la question.

Le fantôme ainsi conjuré se tenait à présent face à son invocateur. En dépit de son clair statut d’humanoïde, voir d’humain, il était impossible pour Riki d’y reconnaître de quelconques traits distinctifs, car l’image qui lui était présentée était flou, trouble comme la surface d’un lac sablonneux. Surpris par le silence de l’apparition, le sayan ouvre la discussion.

“Qui es tu ?”

“Prométhée, Sauveur des Hommes.”

En dépit du glorieux titre sous lequel il se présente, le spectre apparaît particulièrement peu enthousiaste, ce que le guerrier de l’espace s’empresse de lui faire remarquer.

“Je m’attendais à plus de passion venant de la plus valeureuse âme que cette prison avait à m’offrir. Es-tu réellement capable de remplir le rôle pour lequel je t’ai invoqué ?”

“Et quelle est donc cette tâche, geôlier ?”

Riki pointe de sa main libre l’épée sacrée plantée dans le sol.

“J’ai besoin que tu te saisisse de cette arme et que tu m’accompagne.”

“Elle ne semble pourtant pas si lourde… penses tu vraiment devoir me tourmenter pour si peu.”

“Zulfikar ne semble pas me considérer digne de la magner. J’ai bon espoir qu’elle te trouvera plus à son goût.”

Après un long soupir, le spectre disparut. A sa place, depuis le sol, s’éleva une sorte de gélatine d’un noir obsidien, qui adopta progressivement une forme humanoïde similaire à celle du fantôme, et ironiquement plus stable et détaillée. Ce changement de forme prit bien une dizaine de secondes, au cours de laquelle la visqueuse incarnation ne cessa d'émettre une sorte de long gémissement de douleur. Une fois complété, le nouveau corps du porteur de feu vibre très légèrement alors qu’une voix plus nette qu’auparavant en retentit.

“Quel désagréable processus. Tâches de trouver un autre moyen la prochaine fois.”

La créature se dirige alors d’un pas lourd vers l’épée, qu’elle déloge et lève avec une aisance déconcertante.

“Voilà qui est fait. N'hésite pas à m’appeler si tu ne parviens pas à mettre un pied devant l’autre ou à lacer tes chaussures.”

“Quelle aigreur ! Est-ce là la noblesse d’âme que l’on m’a vendu ? Je n’ose imaginer la rudesse dont peut témoigner la plus maléfique victime de cette lance.”

Le sayan se rapprocha de la Pomme d’Eden, toujours posée à même le sol, près de l’épée maintenant fermement tenue par son serviteur d’outre-tombe.

“Tu serais surpris de voir à quel point des millénaires d’emprisonnement peuvent changer un homme. Qui sait, peut-être finirais-tu même par perdre ton sens de l’humour.”

“J’imagine que je ferais mieux de m’estimer heureux que politesse et bonté ne soient pas corrélées.”

Saisissant sans effort l’artefact sans pour autant quitter son serviteur du regard, il se relève et pose alors les yeux sur la petite sphère.

“Ne pense pas que la servitude me soit étrangère, Prométhée, j’en sais plus que tu ne le crois. Mes actions te seront sans doute plus bénéfiques qu’il n’y paraît, fais moi confiance.”

Ses yeux s’attardent sur le centre du petit globe. Bien que parfaitement immobiles, les cercles concentriques qui parcourent le légendaire trésor émettent un effet quelque peu hypnotique. Riki ne s’y perd cependant pas, et détourne les yeux de la Pomme, avant d’être interpellé par son l’invoqué.

“Je ne sais pas ce que cette petite boule a de si passionnant, mais n’oublie pas de me permettre de me reposer la prochaine fois que tu la fixeras en silence pendant cinq minutes.”

Les yeux du sayan s’écarquillent. Il est pourtant certain de n’avoir accordé qu’un bref regard à l’artefact. S’agissait-il là du danger mentionné par la démone ? Ou bien n’en n'était qu’un simple aperçu. S’il ne s’agissait dans un tel contexte que d’un inconvénient mineur, le guerrier frissonnait à l’idée qu’un contrecoup similaire ou supérieur ne vienne le frapper dans une situation moins favorable.
Il en venait à se demander s’il serait réellement capable de se servir de ces objets d’une façon ou d’une autre, mais renoncer maintenant revenait à donner raison à Poutine, et son ego de mortel ne le lui permettrait pas. Pour l’heure, inutile de se torturer l’esprit, il devait trouver un moyen de retourner sur Vegeta.

“Suis-moi, Sauveur des Hommes. Je ressens d’autres présences plus loin.”

Traînant les pieds, Prométhée emboite péniblement le pas à son invocateur et maître.

“L’air frais ne t’avait-il pas manqué ?”

“Il me fait l’effet d’un nuage de fumée chargé de braises. Ma condition est censé être une punition, pas une immortalité de fait.”

Riki fait la moue. En dépit de tous ses efforts d'amabilité, le spectre semblait refuser en bloc toute tentative de rapprochement. Peut-être se dériderait-il sur la longue route qui le séparait de son objectif.