Humanité Perdue

C-17 n'aimait pas les animaux.
Aussi y avait-il de bonnes raisons de se demander pourquoi il avait choisi d'en adopter non pas un, mais sept à la fois.
Enfin, « adopter » était un bien grand mot : il les autorisait à vivre sur sa propriété - ce qui, considérant qu'ils étaient sans cela partis pour aller se perdre aux confins du monde, était déjà une nette amélioration en soi. Et ils en avaient conscience, malgré le fait qu'ils n'aient pas pleinement hérité des capacités cérébrales de leur père - ils étaient notamment toujours incapables de parler -, et entendaient à ce titre montrer un semblant de gratitude.
En l'occurrence, ils avaient été prévenus qu'il n'y aurait personne « chez eux » pour au moins quelques heures, voire des jours ; en l'absence du gardien légitime, il était d'autant plus capital qu'ils patrouillent la zone à la recherche de braconniers potentiels. La notion de territoire relevait de l'instinct primaire, et ils savaient que le leur pouvait être facilement convoité ; il n'avait pas fallu leur expliquer davantage. Tant pis pour le préjudice infligé aux intrus : ils l'auraient bien cherché.
Et ils finirent par en trouver un - ou plutôt, celui-ci eut la mauvaise idée de se manifester en invectivant... Quelque chose ou quelqu'un ; ils savaient ce qu'était un renard, mais n'en voyaient aucun aux environs. De toute façon, ça n'avait pas d'importance : tout ce qu'ils avaient besoin de savoir était qu'un importun avait pénétré sur leur domaine, et qu'ils avaient le droit de le violenter. En dehors de leurs séances d'entraînement avec C-17, ils n'avaient que rarement l'occasion de se défouler, et n'allaient pas laisser passer cette chance.

Aussi se mirent-ils rapidement en escadrille, volant tous ensemble à la rencontre de cette nouvelle proie potentielle. Laquelle eut la mauvaise surprise de voir débarquer d'on ne sait où une demi-douzaine de petites créatures insectoïdes au teint bleuâtre, rigoureusement identiques - jusqu'au sourire mauvais qu'ils affichaient en constatant qu'il était bel et bien sur leur terrain de jeu.

Constituant le parfait mélange entre la bande de délinquants et la nuée de sauterelles affamées, ils plongèrent tous ensemble dans sa direction, gloussant par anticipation.
S'ils étaient déjà belliqueux par nature - les apprivoiser n'avait pas été une partie de plaisir -, se rendre compte qu'ils avaient affaire à un gamin blond ne fit qu'accentuer leur soif de sang ; un vieux compte à régler. Oh, ils savaient que ce n'était pas le bon, malheureusement, mais ce serait cathartique malgré tout.

Kee kee !

D'un même élan, ils se jetèrent sur lui tour à tour, se contentant pour l'heure d'asséner coups de poings et coups de pieds en rafale - de tâter le terrain à leur manière pour savoir s'il en méritait davantage. Ce n'était que rarement le cas, la majeure partie de leurs adversaires mordant la poussière avant qu'ils aient vraiment pu s'exercer, mais peut-être qu'il ferait exception.
Sinon, et bien...
Ce « renard » avec qui il semblait avoir un compte à régler n'aurait qu'à ramasser les morceaux.

Les créatures ne payaient peut-être pas de mine, plus petites encore que ne l'était le jeune adolescent, mais il ne fallait pas s'y fier : elles étaient terriblement fortes - au point que l'on puisse légitimement s'inquiéter de trouver ce genre de choses en liberté. Pour lui qui n'avait pas l'habitude de la faune locale, l'idée que ce puisse être une espèce répandue avait de quoi être terrifiante - ou du moins allait le devenir lorsqu'ils en auraient fini avec lui.

Il paraissait clair qu'ils n'avaient pas l'intention de le tuer, ou ils l'auraient sans doute déjà fait ; ils en avaient les moyens, à n'en pas douter. Au lieu de ça, ils semblaient préférer s'en servir comme punching-ball, lui et les doubles qu'il avait semblé vouloir créer.
Bien sûr, il n'avait aucun moyen de se doute qu'étant capables de distinguer les flux d'énergie, ils ne furent pas dupes une seule seconde. Ce qui ne les empêcha pas de s'en prendre à ses leurres malgré tout, pour le simple plaisir de les voir disparaître en fumée - littéralement.

Si limités soient-ils intellectuellement, ils paraissaient posséder un sens inné du combat et, surtout, agir en parfaite synergie ; s'ils n'étaient pas dotés d'un véritable esprit de ruche, ce ne devait pas en être très loin. Dès que l'un d'entre eux faisait mine de le laisser tranquille, le suivant prenait la relève, ne lui laissant pas un seul moment de répit.
Les rares pauses qu'il pouvait s'accorder étaient celles obtenues grâce à ses stratagèmes, et ne duraient jamais très longtemps. Même son dernier tour de passe-passe - cet espèce de maquillage qu'il avait sur le visage et les griffes qu'il venait de faire pousser - n'eut pas l'air de les intimider plus que ça.
Au contraire ; ils ne demandaient pas mieux que de voir s'il allait enfin pouvoir rendre les coups.

S'il n'était quant à lui pas capable de sentir les puissances, il avait en revanche appris à repérer quand les Cell Juniors faisaient du grabuge. Les apprivoiser - à supposer qu'on puisse les considérer comme tels désormais - n'avait pas été une mince affaire, et encore maintenant, il tâchait de garder l'œil ouvert pour s'assurer qu'ils ne s'en prennent pas à la mauvaise personne.
...Par chance, ce n'était visiblement pas le cas ici, au vu du nombre d'armes blanches que transportait celui qu'ils prenaient pour cible. Aussi jeune qu'il soit, l'intéressé était visiblement armé jusqu'aux dents, et donc à considérer comme une menace.
S'il aurait pu - voire dû - s'en occuper lui-même, le cyborg, revenant à peine de son « aventure » à Satan City, préféra les observer pour voir comment ils s'en sortaient en situation réelle. Tant qu'à leur laisser la garde du périmètre lorsqu'il s'absentait, il pouvait au moins vérifier qu'ils fassent les choses correctement. Il n'y en alla pas moins de son petit commentaire, appuyé contre un tronc dans le dos de l'intrus :

« Je ne sais pas ce que tu viens chasser, mais je ficherais le camp, si j'étais toi. » dit-il en extirpant de l'écorce d'un arbre un projectile qui semblait s'y être planté dans le feu de l'action. Il cligna des yeux ; est-ce que c'était un shuriken ? Les braconniers ne savaient décidément plus quoi inventer. « Je ne devrais pas te donner de conseil, mais je te suggère d'amener une meilleure arme la prochaine fois. Ça t'évitera de te ridiculiser. Enfin… »

Il haussa les épaules sans se soucier de finir sa phrase. Qu'en avait-il à faire, après tout, que ce gamin s'humilie sans l'aide de personne ? Il n'aurait que ce qu'il méritait pour être entré sur un territoire où il n'avait aucune raison de se trouver - sans doute avec de mauvaises intentions. Sinon, pourquoi serait-il aux prises avec ses subalternes ?

« Tu devrais te dépêcher. » insista-t-il, passant l'index sur les pointes de l'objet pour évaluer son tranchant, les yeux encore rivés dessus. Aucun doute quant au fait que ce soient des vrais - ou, du moins, qu'ils étaient bel et bien en acier véritable. On vendait vraiment n'importe quoi aux enfants, de nos jours. « C'est bientôt l'heure de manger, ça a tendance à les rendre irritables. »