Un seul ciel. Une seule destinée !

L’abîme a ce quelque chose de profondément inquiétant, perturbant et réconfortant à la fois qui lui est propre. Le silence total. Qui peut se targuer un jour d’y avoir plongé si profondément, si ce n’est l’être qui pousse son dernier soupir ? Il n’y avait là aucune paix dans ce départ, aucune note douce et guillerette pour accompagner la mort de Setsuka. Son dernier souvenir avait été la plus intense des douleurs provoquée par la plaie béante dans son thorax. Le contact embrasé du bras de Freezer dans sa chair tétanisant l'entièreté de son corps, et, son acte d’amour désintéressé pour l’autre comme seul salut pour lui faire passer au second plan la souffrance durant ces quelques instants héroïques.

Son esprit s’était éteint sur l’image de ses parents adoptifs. Sa mère, Séthys, la lamia qui lui avait tout appris de la chasse, des postures à adopter en fonction du gibier, des pièges à élaborer, des armes à façonner. Son père, César, un chimpanzé qui lui avait appris à développer ses facultés mentales, notamment en matière de stratégie pour piéger les bêtes qu’elle chassait. En vérité, ils lui avaient tous deux apporté bien plus que ce loisir. Mais cette activité était devenue une véritable passion pour la petite saiyan, un art qu’elle pratiquait en famille. C’était pour cela que ses pensées s’étaient focalisées sur un souvenir dans lequel Setsuka avait réalisé sa première chasse seule, sous la surveillance à distance de ses parents. Cela avait été un jour glorieux ! La première fois que la petite göranienne s’était sentie vraiment fière d’elle… Avec le sourire de son papa et de sa maman qui l’avaient accueilli bras ouverts pour la porter et la serrer tout contre eux à son retour de la traque.
Son esprit s’était éteint sur ce qui la rendait heureuse. Pour atténuer la douleur, pour atténuer la tristesse…

Puis, le voile de l’océan abyssal qu’est ce néant incompréhensible a recouvert son existence.





















Uuuuuuuummmpppppppppphhhh !!


Une grande bouffée d’air emplit ses poumons. Une sensation horrible lui fait monter la nausée. Imaginez vous naître à nouveau dans un corps abandonné depuis plusieurs minutes, plusieurs heures, une enveloppe charnelle dont vous vous étiez séparé si longtemps.
Son corps a le souvenir de tout cet abominable tourment qui l’avait étreint dans le monde des vivants. Pourtant, ses mains affolées qui ont pour premier réflexe de tâtonner son buste ne trouvent aucune trace de lésion.  

*T͟ų n’̸es͘ ̷pas̸ desti͝n̴é̴e à͠ me͘ seŗv̶i̵r͘…͡ du͜ ̸m͠òįns, ͜p͘as ͝e̴nc̷o͟ŕe,̀ ̛S͞e̴ts͏uka.͢ T͏u͞ a҉ura̕i̧s ̨dû͜ ͘te ̕tr͜ans͞for͠mer én ͡u̷n m҉aje͡s͡t̡ue͡u̧x ̵vo̧l͜a̴t͠ile pou͡r͟ ͟m͜e͜ ̢s̷er̸v͟i͟r ҉d’ye̛u̢x͞ ͟e͘t̛ ́r͘ég̸ule̵r nơt͝r͢e҉ p͞l͞a̕n͞è̷te̢. ҉Mąis… I͝l҉ ̢en ̕est͠ a҉u̴tŗeme̶n͘t. T̀u ͠a̢s͏ ét҉é ch͞ói̢siȩ,̶ ̷śe̴mb̵l̵e-̕t-̧il͘. Qu̕e͞ le͞ t͡ȩmps͜ ̴n͜’͡ép͡u͝ise͞ jamais la f͡ļam͞m̡e ͞q͟u̸i̢ t'an͜i͢me, f̛ill͟é d̢e ͟Śéthy̴s͟ et ͜Cés̀ar͢.̀* murmurait à ses oreilles Erkhan la Moissonneuse, déesse sur Görana à qui elle avait prêté serment d’allégeance à sa mort.

Tout était très confus. Son corps ressentait encore puissamment les vestiges des derniers évènements de son vivant, toutefois ce n’était qu’un souvenir et plus une réalité. L’autochtone se tortilla plusieurs instants au sol comme un ver, à moitié recroquevillé contre elle-même, ses membres tantôt s’étendant dans des gestes atroces, tantôt se repliant vainement contre son corps pour se protéger de son calvaire invisible pour un oeil extérieur.

Après quelques instants, l’étrangère intègre le fait qu’ici n’est pas l’endroit où elle est tombée. Que les souvenirs affligeant de l’insupportable désolation répandue par Freezer n’est que dans sa tête. L’araignée contractée se détend, déplie ses membres petit à petit et peine à se redresser. Elle qui était étendue là, au milieu de ce nul part rayonnant, sur une surface duveteuse. Une fois en tailleur, ses mirettes analysent tant bien que mal ce qui l’entoure. Ce sont… des nuages ! De toutes les tailles. Et puis, il y a cette étrange route qui dénote dans ce paysage simple et harmonieux.

*Erkhan, où suis-je ? Le grand alien doré m’a tué, mon souhait est d’être à tes côtés !* implore-t-elle, soumise à l’indéfinissable brume d’incompréhension que soulève cette situation illogique. La petite fille perdue renouvelle ses appels à l’aide, mais plus personne ne semble apte à lui répondre. Setsuka passe plusieurs longues minutes à rester passive, à observer ce paysage irréel et le calme qui y règne. La chasseuse se sent délaissée, incomprise. Tout cela n’a pas de sens. Puis sa mémoire lui montre les images des personnes vivantes qu’elle aime, ses copains, sa famille. Et alors, la combattante décide de se relever. Si quelqu’un lui a donné l’opportunité de réintégrer son corps, alors c’est peut-être parce qu’elle n’a pas fini de servir et qu’il lui faut trouver un moyen de leur porter assistance à nouveau !

La balafrée gonfle son moi intérieur avec de l’espoir et avance sur le long chemin de la Route du Serpent. D’abord, elle avance maladroitement. Marche comme un bambin qui tient à peine sur ses pattes. Reprendre la pleine mesure de son corps puis de ses sens n’est pas une mince affaire ! Et, après plusieurs minutes, la jeune femme bondit dans tous les sens ! Reprend goût au contrôle de son corps et aux galipettes et autres figures gymnastiques dont elle se sait capable, puis s’envole. Au fond de son coeur subsiste un arrière goût amer semblable à celui provoqué par la perte d’un proche. Quel paradoxe ! C’est Setsuka qui est décédée, pourtant ! Cette émotion s’explique par le fait que la göranienne se sent coupable d’avoir laissé ses compagnons d'armes sur le champ de bataille…

Alors, vient le temps où l’autochtone tombe sur une file d’attente bien étrange. La combattante ne sait pas pourquoi il faut patienter et ne se pose même pas vraiment la question. Du Setsuka tout craché ! Eh oui, à la place, la jeune fille est émerveillée par la diversité d’espèces, de races d’humanoïdes et affiliés qui poireautent ici. Alors, sa personnalité reprend le dessus naturellement, et, la sauvageonne passe les prochaines heures à dessiner - dans son Grand Recueil des Races de Görana, étendu à l’univers qui visiblement l’a suivi jusqu’ici tellement il lui est précieux - et annoter des détails sur la provenance de ces gens si différent d’elle qui attendent d’être jugé. Dans la pleine ignorance de cette fatalité, la traqueuse se contente de converser avec ceux qui se montrent réceptif, fait des croquis d’eux, leur montre, prend des notes sur les spécificités de leur ethnie…

et c’est ainsi qu’elle vit, qu’elle respire, qu’elle est joie, qu’elle est elle ! Et que la face horrible de ce monde ne hante plus son être. Freezer est un souvenir vif et poignant, mais il ne peut plus avoir d’emprise sur son esprit en cet instant de partage qui l’anime profondément.

Setsuka va pouvoir demander au géant monsieur safrané comme Dabra d’où il est originaire : c’est bientôt son tour de parler avec lui !

“Wouaaah… oooOooooh !”

Ces petits bruits d’étonnement se multipliaient à mesure que la petite saiyan observait en long et en large l’énorme cornu blasé en face d’elle. Enma, de par sa stature, est capable d’impressionner quiconque se présente à lui. Setsuka ne faisait pas du tout exception ! Au contraire : elle resta immobile plusieurs instants, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés à observer cet énergumène d’envergure. Prenant conscience que ce n’était pas très poli de sa part de rester là à le détailler comme une bête de foire, ses joues s'empourprent.

“Eh bien coucou ! Moi c’est Setsuka !” fit-elle, tout sourire et secouant sa main droite pour saluer le grand monsieur roussâtre. “Je ne sais pas trop ce que je dois te dire ou ce que je dois faire ?” continua-t-elle avec un air un peu gauche.

Le colosse à la peau lie-de-vin la toise avec un profond stoïcisme au départ. Puis il se protège de quelque chose qui est invisible aux yeux de l’autochtone à un moment donné. Celle-ci regarde tout autour d’eux de cet air pataud qui lui colle aux baskets, sans rien trouver de visuel qui explique cette soudaine et étrange réaction.

“Ah ! Tu dois connaître mes talents de chasseuse ? ! Mais ne t’inquiètes pas, je ne mange pas les humanoïdes, hein !” S'exclame-t-elle en secouant les mains devant elle d’un air embarrassé.

Toutefois, puisque son interlocuteur parle de Freezer et de son décès face à ce dernier, elle comprend qu’il n’y a pas de rapport avec ses talents de traqueuse. Le grand gaillard exprime le fait qu’il trouve ce qui lui est arrivé injuste. Cette dernière prend un air un peu plus sérieux et lui répond :

“J’étais en capacité d’agir pour sauver un copain, je devais le faire ! Dabra non plus ne l’aurait pas merité, tu sais ! Mais en tout cas t’es un gentil géant ! Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi grand que toi en plus. Sur Görana nous avons des géants de pierre, mais pas de ta taille !”

Le gargantua de rubis lui indique que les portes du paradis lui sont ouvertes. Cette dernière se gratte l’arrière de la tête avec une confusion lisible sur son minois. Nonobstant le fait que cet endroit lui permettra de suivre le combat qu’elle a laissé derrière elle, ce lieu où l’on souhaite la conduire est inconnu au bataillon

“Euuuh, ben c’est super de me laisser savoir ce qui va arriver à mes amis, merci ! Mais… c’est quoi le paradis ? Et cet endroit ? Pis les gens ont des ronds au-dessus de la tête, c’est une mode ? Tu sais je ne suis pas censée être ici ! Mon âme devait être transférée dans le corps d’un oiseau pour que je devienne les yeux d’un dieu de Görana, Erkan la Moissonneuse. C’est elle qui régule la mort et la vie sur notre planète. Mais à la place je suis encore dans mon corps et j’ai atterri ici.” questionne celle-ci en haussant les épaules d’un air embêté.

Apparemment des personnes veulent la rencontrer dans cet endroit, le Paradis. Tout cela est vraiment très curieux ! Elle ne connait personne ici, ni même quel est cet endroit.

“Je peux te dessiner ? Parce que je ne connais pas ton espèce ni d’où tu viens. Tu veux bien me raconter un peu ton histoire ? Parce que, tu vois, j’ai créé un recueil pour répertorier toutes les races de notre monde !” Ajoute-t-elle gaiement en tendant le petit bouquin du bout de ses mains pour lui montrer ses oeuvres, notamment ses derniers ouvrages concernant des personnes qui attendaient eux aussi dans la file menant à Enma.

Alors Dabra avait été un être maléfique, un jour ? Setsuka tentait d’imaginer le cornu carmin en tant que destructeur du monde et des autres, mais… tout ce qu’elle voyait c’était sa petite bouille humble et sympathique ! Et puis sa couleur de peau lui faisait penser aux fraises. Cette réflexion était d’un niveau à la Homer Simpson. Toutefois un petit fraisier ne ferait pas de mal à la göranienne suite aux traumatismes qu’elle venait d’essuyer !

“Eh ben je le vois mal être méchant ! C’est juste une gentille grosse fraise courageuse !” Dit-elle en bavant à moitié en pensant à divers desserts incluant ce fruit - ce qui ne manqua certainement pas d’en étonner plus d’un.

Quand Enma affirma que ce n’était pas la taille qui comptait, la petite sauvageonne acquiesça vivement.

“Ah ça ! Tu as raison ! Les golems sont grands alors on peut croire qu’ils sont maladroits ! Mais figures-toi qu’il font les plus belles sculptures et les plus beaux jardins de tout Görana !”

Par la suite, le gigantesque juge lui révéla qu’un être suprême avait décidé de sa venue ici. Cette dernière se gratta le menton en imaginant plusieurs des déités les plus puissantes de Görana s’être concerté à ce propos. Elle était bien loin de la vérité !

Cette dernière s’empresse de se mettre sur le côté pour finir de dessiner Enma. Ce dernier ne lui avait cependant pas parler d’où il venait et de comment se nomme son espèce. Celle-ci se demande alors s’il préfère que cela soit secret : après tout il y a beaucoup de monde ici, peut-être est-il trop pudique pour le révéler devant cette foule ?

“Bon, ben à plus Enma et merci !” Dit-elle en lui faisant à nouveau un coucou de la main. “Et pis viens sur Görana quand tu seras en vacances, comme ça tu pourras manger nos spécialités et visiter nos terres !”

Celle-ci quitte enfin les lieux de ce pas insouciant qui lui est fidèle pour rejoindre cet étrange lieu : le Paradis.