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 Le caprice perdu dans la brume

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Hoù Sennin
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Terrien
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MessageSujet: Le caprice perdu dans la brume   Le caprice perdu dans la brume ClockDim 20 Juin 2021 - 0:11
Le caprice perdu dans la brume Montagnes


8:47
8°- Mont Tsuno
Préfecture de Satan-City








La vie au dojo avait repris son cours normal, loin des tournois truqués et autres fœtus périmés. Et si le retour des entraînements matinaux n'avait rien de réjouissant, chaque jour venait avec son lot d'inconnues qui donnaient ce petit goût d'aventure perpétuelle. Les mission en particulier battaient les semaines au rythme des nouveaux hors-la-loi qui profitaient du chaos ambiant pour montrer le bout de leurs nez scélérats. Au sujet de la menace Auros, j'avais à nombreuses reprises questionnée mon Maître sur notre devoir, la position de spectatrice n'étant pas des plus agréables. Ce à quoi il répondait toujours qu'il fallait bien quelqu'un pour gérer les menaces à échelle humaine. Pfiou. Autant dire que je n'étais pas de cet avis là. Au fil des semaines toutefois, mise constamment devant le fait accompli, j'en étais venue à la conclusion que si nous nous cantonnions au menu fretin c'était de ma faute. C'était à cause de moi que mon Maître n'osait se frotter contre les menaces d'ordre supérieur. Parce que j'étais faible, parce que je ne savais toujours pas faire usage du Ki. Faiblesse qui m'avait mise en danger plus d'une fois, en particulier quand mon Maître partait en solo et me laissait gérer les crises de quartier. Tout ça alors que les semaines fuyaient comme neige au soleil. J'avais fait part de mes craintes à mon Mentor et après de longues discussions, il m'avait assuré qu'il ferait quelque chose pour m'aider à rattraper mon retard. L'attente avait été longue, stressante mais ce matin-là, nous étions partis en camionnette bien avant l'aurore. Il nous fallut quatre heures de route pour arriver au milieu d'une départementale déserte.





Alors Maître ? Où c'qu'on va aujourd'hui ? Encore de la grimpette ?






J't'ai pr'mis d'réf'chir à ton 'blème d'gestion d'ki mon garçon. Alors c'là qu'on vô. Queq'par' qu'va t'der.





Boah ! J'ai pas le droit à plus d'indices quand même ?!






'Va aller brasser dans l'Fontaine d'Jouvence !

Dit-il, un épais sourire mettant ses lèvres gercées à rude épreuve.



Ah ça, Maître Hoù adorait balancer des phrases pareilles. Je ne l'interrogeai pas plus, car déjà nous empruntions un sentier escarpé qui semblait mener droit vers l'à-pic du Mont Tsuno. Une chaîne de montagnes apprêtées comme les incisives d'un immense dragon, qui coupait la région en deux. De telle sorte que les routes devaient prendre de gros détours pour l'éviter, expliquant la durée abominable des trajets Satan-City/Central-City. Comme d'habitude, je portais nos deux sacs ainsi que mon Bô. Il marchait à une telle allure que je peinais à le suivre et devais affermir l'allure régulièrement. Alors que nous gravissions la piste abrupte, mon enseignant me fit un topo hors d'haleine, tandis que le soleil à peine éveillé martelait déjà son teint rubicond qui lui était inhabituel  de coups de marteaux incandescents. Nous emmanchions un pèlerinage pour un temple d'arts martiaux dont toute trace aurait été perdue depuis près de deux siècles : La redoute du Triton. Un lieu mythique, réputé selon les légendes de receler un artefact offrant le pouvoir à ceux oubliés par la grâce. Cette dernière formulation m'avait bien arrachée la gueule, mais je savais que mon Maître ne pensait pas à mal. Et puis il n'y avait pas photo, il n'y avait que la dure et amère vérité pour me nouer autant la gorge en nœud de chaise.



Habitués des marches fastidieuses, nous persévérions sous le plomb du cagnard en parlant de tout et de rien. Ne pouvant contenir ma soif d'obtenir enfin l'accès à mes pouvoirs, j'oubliais rapidement les discussions basées sur les pâtisseries pour revenir sur la raison de notre randonnée. J'appris que le temple était le sanctuaire d'un ordre de moines-guerriers redoutables, qui puisaient leur force en « Omizu », l'esprit de l'eau. Cette confrérie aurait dissimulé apparemment le lieu-commun d'une bonne centaine de mythes à travers le monde : la Fontaine de Jouvence. Une source capable non seulement d'offrir le meilleur des liftings mais également d'élargir la syntonisation spirituelle d'un individu. En d'autres termes, lui permettre de cracher du feu par les mains en y pensant très fort. Ainsi je le suivais en silence, n'osant lui demander si je n'allais pas retourner au stade fœtal en y plongeant. J'espérais d'ailleurs qu'il suffisait de s'y baigner, car je ne me sentais pas de boire une eau qui aurait macérée pendant deux siècles entre les cadavres décrépis de ninjas illuminés. 


Spoiler:




L'astre harassant approchait de son zénith quand nous commencions enfin à descendre une pente de calcaire safrané. Une coulée de verdure nous apparu en contrebas, avec son estuaire qui la zébrait de part en part. Il s'agissait là un bon vieux marais salant bien de chez nous, avec sa couverture de purée de poix moelleuse qui ne s'en irait pas de si tôt, le Mont Tsuno faisant lieu d'une cuve titanesque. Nous prîmes une pause bien méritée à grand renforts de noisettes confites à « l'eau misée ». Il ne me fallut pas longtemps pour constater qu'ici-bas l'air avait ce relent de glaise si caractéristique que les cymbalements des cigales sublimaient à la perfection. Le tableau du parfait été en cambrousse. Je ne pus m'empêcher d'avoir une petite pensée tendre tournée vers mon Papa. Il devait avoir affaire au même genre de climat dans sa province.







Nous reprîmes la marche aux abords de treize heure. Moi qui avait attendu tout le long de la montée -descente incluse- la promesse d'un terrain plat, je n'avais pas soupçonné l'offense des hautes herbes fouettant mes mollets à sec et m'enfouissement désagréablement mélodieux de mes godasses dans le limon. Notre traversée était d'autant plus laborieuse que nous n'y voyons pas à dix mètres tant le brouillard était dense. Dans mon for intérieur, j'ironisais à tout va sur la raison pour laquelle le temple était perdu depuis si longtemps. On ferait tomber un gratte-ciel en plein milieu qu'on le retrouverait pas dans de merdier ! Une vraie guigne. Mais je prenais mon mal en patience, sachant qu'au bout du voyage m'attendait la grande récompense.



Hoù Sennin s'arrêta brusquement, fit volte-face en émettant presque un grincement robotique et me dévisagea avec intensité. Face à un tel regard bouffi, la plupart des gens auraient ri, d'autres se seraient sentis très mal à l'aise. Fut un temps pas si lointain j'avais appartenue au premier groupe, et s'en retenir était sans doute la plus lourde épreuve de mon entraînement à ses côtés. Mais avec le temps j'avais appris à le connaître. Je savais que derrière ses réactions improbables, il y avait la plus immense des sagesses. 



'Té. 'T'j'mais d'mandé. T'sais n'ger ?





Gênée, je remuais doucement le nez de droite à gauche, en regardant mes pieds. Il prit un instant, pencha le menton pour désigner la mare grumeleuse à notre droite et annonça, tout sourire :



'T'va 'pprend' ! Zou ! Jet'toi d'dans !



En guise de réponse, je ne fus capable de répondre que part ma main droite me frictionnant promptement les lèvres. Mon enfance s'étant déroulée loin des courts d'eau, je n'avais jamais eu la chance d'apprendre à nager, pas même barboter. Pour une fille de mon âge, c'était sacrément la honte. Et c'était sans compter toute l'appréhension qui en découlait. Du temps où je perdais encore mon temps au collège, les cours de natation constituaient une phobie à part entière. Sachant pertinemment que je n'allais pas y couper et ne voulant pas décevoir mon Maître de surcroît, j'avançais à tâtons vers le point d'eau suspect, les jambes déjà flageolantes. Je pris une grande inspiration... Allons Haïko, du courage ma grande ! Poses tes affaires, ça va aller. Ca va aller. Ca n'a pas l'air très profond. Ca va aller. Etant fort peu friand des enfantillages, mon Maître m'envoya rejoindre les têtard d'un franc coup de pied dans les lombaires.
 
AAAAAAAH


L'immersion fut instantanée. Et âpre. Et terriblement tiède. J'avais consommé tout mon temps de réaction pour beugler d'incompréhension. L'eau s'engouffrait férocement dans ma bouche, tapissant ma langue d'un odieux goût de boue âcre et du sel chaud, grouillant de formes de vies amphibiennes qui n'avaient rien à faire là. Le reflex vomitif me condamna à m'étouffer encore plus, ma trachée se déchirant entre les hauts-le-cœur et la fange que j'ingurgitais. Mes yeux ouverts malgré la couche de ramas qui les occultaient, je me débattais comme je pouvais pour atteindre la surface. Je tentais de m'extirper du bain mortel à grand coups de bras affrontant inutilement la résistance de l'eau. Je n'avais aucune conscience d'où étaient le haut et le bas. Sentant mon diaphragme calciner mes bronches, mon corps désarticulé prit une position bien étrange et, à force de donner des grands coups de tête vers l'arrière, je revoyais de nouveau ma surface adorée. Les cigales, indolentes, de leur cri semblaient se moquer de ma piètre prestation. Pour un temps seulement, car je n'eus que le temps de rendre à mère nature le contenu que je lui avais dérobé de mes lèvres écœurées que j'étais de retour dans l'enfer aqueux. Quelque chose, un obstacle dur vint me taper contre la poitrine. Sans que j'en prenne la décision, mes mains s'y agrippèrent et, par chance, ce support me permit de me stabiliser à la surface et de pouvoir reprendre mon souffle en raclant bien ma gorge entachée.  


Il me fallut un moment avant de pouvoir attarder mon flux de pensée sur autre chose que la simple action d'inspirer, qu'il me fallait précéder de l'expiration. Tout un programme que j'étais entrain de réapprendre alors que je n'aurais jamais cru l'oublier un jour. Je me sentais trahie. Cependant je n'avais pas encore la force de faire entendre ma voix à mon Maître aux méthodes douteuses. Alors je laissais entrer l'air à grosses bouffées, expectorant de temps à autres un peu de terre séchée. Comme pour remercier l'objet qui m'avait sauvée, je lui adressais un coup d'œil reconnaissant. C'était mon Bô ! Au bout de l'autre extrémité, j'apercevais mon Maître qui le tenait fermement afin que mon esquif tienne bon. J'allais lui faire savoir ma façon de penser quand il lâcha le bâton en bouleau pour venir me rejoindre dans la mare en adoptant la forme de la bombe, ses mains maintenant ses genoux bien droits contre son torse. Le tout en faisant éclater son rire gras.


HAHAHAH


L'impact fut... Et bien, explosif. Il y eut une déflagration d'éclaboussures de boue, dont le ressac me permis au moins de ne pas retourner me noyer instantanément. Je sentis aussitôt deux mains sortir du maëlstrom pour me saisir et me border comme un bébé. De la sorte j'avais la tête entièrement hors de danger. Maître Hoù m'adressa un petit sourire inquiet en grattant maladroitement ma tempe du pouce de la main qui soutenait ma nuque dans le but de la décrotter un minimum. 






Vous êtes un grand malade ! J'aurais pu me noyer !









J't'ais là p'tit gar', t's'rais r'in arrivé. T'en es b'in sorti !C'la 'lleure façon d'pprendr' à n'ger quand 'n'a p'l'temps ! Et d'ci c'soir fau'qu'tu sois un vrai 'ti p'sson ! 'M'a 'ppris d'la mêm'. C'pa agréab', mais t'risqu' r'in. T'corps est r'pli d'air, 'va nat'rellement vers le haut. 'Garde, t'just' à faire l'chien avé t'bras. 'Suit' 'passera 'jambes.



Je le fixais, interloquée. Toujours vexée de son coup en traître. Risquant de me retourner, toujours soutenu par ses bras néanmoins, j'essayais d'imiter l'idée que je me faisais d'un chien dans l'eau. Première leçon sur la natation : c'est humiliant. Et on flotte naturellement. Me servant de mes paumes comme des spatules bien frêles, accompagnée par mon Maître qui me tenais toujours. De temps en temps, il me lâchait pour me reprendre juste après, ne manquant pas de me prévenir auparavant. Quoique terrifiante de prime abord, cette technique me mis en confiance au bout de quelques dizaine de minutes à peine. L'exercice fut plus éprouvant lorsqu'il fallut m'y prendre avec les jambes également et seule. Au bout de deux heures entrecoupées de maintes pauses, j'avais à peu près assimilé la gestuelle, mais absolument pas la confiance nécessaire pour me jeter à l'eau de moi-même. 












Je-ça vous convient Maître ? Vous pensez pas qu'on pourrais continuer le pèlerinage ?


J'avais terminé ma phrase sur un ton un peu trop défiant. Même s'il n'y avait pas de raisons pour qu'il le fasse, j'aurais aimé qu'il s'excuse pour m'avoir jetée dans la vase. Maître Hoù ne releva toutefois pas mon impertinence et n'en fit rien.








Si, 'Fier d'toi ! Sor'd'là qu'on r'prenn' l'route ! 

Nous sortîmes de l'étang, tout deux affublés d'une démarcation brune au niveau du cou. Nous reprîmes la marche tels quels, les vêtements détrempés. Heureusement que j'avais gardé mon téléphone à l'abri dans mon sac à dos ! Avec tout l'inconfort que cela pouvait impliquer, tant au niveau des cuisses qu'au niveau du soleil qui après nous avoir séchés malgré la brume nous laissaient avec une cuirasse encombrante d'écailles de fagne. La repise de la marche me fit me rendre compte que je ne devais pas en vouloir à mon Mentor. Dès le premier jour le principe même de ma formation martiale avait consisté en de la discipline expresse et crue. Et ça ne m'avais jamais dérangée outre mesure, car j'avais les tripes pour ça. J'étais simplement dérangée parce que l'eau n'étais pas mon élément. Pas du tout. Il n'empêche que je gardais ça en travers de la gorge. Une grosse heure passa encore, notre progression apparaissait alors bien moindre, du fait que tout sentiment de progression était enrayé par la structure redondante du marais et le brouillard omniprésent. Tandis que, tout à coup, nous arrivâmes dans une éclaircie, un trou dans la structure du rideau nébuleux. 


Spoiler:

Je m'empressais de brandir mon téléphone et mes écouteurs.


Clic. 





 Au milieu des roseaux, des vasières, des nénuphars, des fleurs de sel, des troncs morts s'élevait une formation rocheuse incongrue, sur une bonne cinquantaine de mètres. Un plateau littéralement suspendu au-dessus du marais salant, qui nous avait été dissimulé par les nuées lors de notre descente. De ce promontoire surréaliste s'écoulait des cascades d'eau plus claires que celles des onsens ainsi que des torrents de vapeur blanche. Le manteau de brume paraissait prendre racine dans cet oasis improbable.  






O-ouah... Est-ce que c'est... ?








Ouais ! B'venue à l'redout' d'Triton Haïko ! 







Ca à l'air si loin ! Mais... Attendez ! Comment on va faire pour grimper ?!








Oui. 

Hoù Sennin
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MessageSujet: Chapitre 2 - Ce qui se trouve au fond   Le caprice perdu dans la brume ClockMar 22 Juin 2021 - 0:58
Ces foutues cigales se moquaient, foi de moi-même ! Je me voyais déjà toutes les carboniser au soixante-dix-neuvième degré dès que je serais ressorti de la Fontaine de Jouvence. Malheureusement, une heure-et-demie de marche et deux autres d'escalade nous attendaient encore. Sans compter, bien évidemment, les quatre pauses "natation" jugées primordiales. J'y appris autant que faire se peux qu'Archimède assurait mes arrières et m'empêchait de sombrer. Durant la troisième session, alors que je faisais montre d'un brin d'aisance supplémentaire, une pensée sinistre me traversa l'esprit.


Mon Maître me poussait certainement à me dépasser afin de pouvoir brasser dans la Fontaine. Si tel était le cas, cela signifiait que je n'aurais pas à simplement m'oindre de l'eau fabuleuse. Mais...


Je ne pouvais pas apprendre à nager en un seul jour.


Pourquoi avait-il fallu presser les choses ? On aurait pas pu rebrousser chemin, le temps que j'apprennes à nager ? Et puis, il aurait pu demander avant tout de même ! Quoique. Il n'avait pas eu l'air contrarié quand je lui ai répondu que je ne savais pas nager. Pourtant ça devait être un sacré contretemps ? Peut-être que c'était prévu ? Cette pensée me remis hors de moi. Je ne savais comment exprimer mon mécontentement à mon Maître, car j'étais moi-même incertaine de mon ressenti. Et la joute cognitive opposant " Ca va ma grande, arrête un peu tu veux, c'est passé maintenant " contre " Comment il a pu me faire ça " ne faisait que tourner en rond. Oscillant entre rixe inféconde et cessez-le-feu pathétique. 


Je me contentais alors d'avancer en silence, les lèvres cousues d'une trame faite de rogne du tubercule aux commissures, ne rompant le silence que sous la torture des aiguilles de taon et leurs amis les moustiques. Mon Maître progressait en sifflant doucement, suivant tant bien que mal la cadence effrénée des cigales.  



Ce ne fut que lorsque le pied du lac fut à portée que les nuisibles nous lâchèrent la grappe. Les sanglots estivaux eux aussi s'étaient tus, malgré le fait qu'ils nous fracturaient les tympans une minute auparavant seulement. Vu de cet angle là, la structure rocheuse perdait son plumage féérique pour arborer un ramage angoissant. Les cataractes de brume voltigeaient silencieusement au-dessus de nos têtes, camouflant notre objectif dans la pénombre. L'ascension se déroula, contrairement à mes craintes, sans aucun accroc. 


Le Hoù-Ken étant un art martial basé sur la voltige, j'avais acquis au fil des semaines des compétences en varappe assez satisfaisantes. Après tout, si j'y arrivais en milieu urbain, pourquoi pas ici ? Le socle du lac était fait de roches robustes, abrasives et aux formes variées, ce qui en faisait de parfaites prises. J'eus quelques frayeurs au moment où notre chemin passa au-dessous d'une cascade particulièrement bruyante, dont l'eau épaulée du vent avait érodé la paroi du piédestal excessivement lisse. Peu importait, une-deux, une-deux, j'agrippais les moindres reliefs quitte à y parvenir à l'aide de sauts de foi, suivant de près mon Mentor pour qui l'ascension semblait être une promenade de santé. 




Le spectacle qui m'attendait au sommet fut assez décevant. Le plateau contenait effectivement un lac à la superficie imperceptible, bordé d'épines de granit, mais point de traces de temple à l'horizon. Je me rassurait en constatant que les torrents de brumes qui s'exhalaient de l'eau paisible masquaient les trois-quarts du lieu. Peut-être qu'un édifice nous attendait pas loin. La présence de statues sur le rivage dont les visages étaient détruits et tapissés d'algues me rendirent un peu d'espoir. Elles représentaient sûrement les moines-guerriers. Maître Hoù mit un terme au silence qui régnait tout en brandissant un petit carnet à la reliure de cuir usée.



'Cent' d'lac y'a l'ent'éé !






J'acquiesçais sans piper mot, essayant de chasser de mon esprit le peu d'envie que j'avais de retourner faire trempette. Floush-Floush. Nous traversions l'eau glacée lentement, par le biais de la précaution de mon Bô nous reliant l'un à l'autre. Lui fendant le lac d'un seul bras qui allait chercher loin devant son impulsion, moi me débattant comme un cabot malheureux. Luttant pour constamment garder le cou hors de l'eau. Arf, c'était humiliant. Au final, cette journée n'était qu'un éternel rappel de la première application du Mantra de l'école du poing simiesque. L'acte de froid. J'aurais préféré me contenter d'une bassine au réveil cela dit. Nous progressions à l'aveugle, lorsque mon enseignant s'arrêta pour se hisser. Je faisais de même aussitôt, bien trop contente d'être enfin arrivée à destination... Ou pas. 


" L'entrée ", comme l'avait qualifiée Maître Hoù, se révélait être un misérable îlot pouvant à peine nous accueillir, qui ne comportait comme unique centre d'intérêt un vieux torii. Lequel était pourvu d'un genre de grande corne posée sur des tréteaux, devant lui. 


Spoiler:


...Et maintenant ?


Annonçais-je, la gorge serrée.





Pas de doute ! Nous étions bien sur un lieu foulé autrefois par des moines ! Pas de chance, de leur architecture sacrée il ne demeurait qu'un malheureux torii, comme on pouvait en trouver dans tous les chemins de campagne. Le reste était probablement noyé depuis des lustres. Super... Au moins, désormais je pouvais aller mêler ma frustration à ce fichu lac ! Mon Maître sortit une nouvelle fois son calepin, y tourna quelques pages avec assurance et attarda son gros index sur un passage griffonné. 


'L'est 'crit qu'c'là 'malement... Hmm..



Voir mon Mentor se gratter la tête d'incompréhension fut un nouveau clou enchâssé dans ma poitrine. Je me laissais tomber sur les fesses, éreintée. Seulement, Maître Hoù se pencha vers moi très vite d'un air savant qui lui était peu coutumier et souffla : 



L'torii c's'pare l'mond' mo'tel et l'mond' spi'tuel ! 'Têt' qu'si on l'f'anchit on t'ouv'a ! 


Il babillait en se pétrissant les mains à présent, ce qui était très bon signe. Quand on connaissait l'Eclair Cramoisi, on savait reconnaître ses mimiques de triomphe. Cette attitude me rendit un monceau d'humeur, encore plus que sa trouvaille.



L'un à côté de l'autre, nous passions au travers du portail de bois sacré, en veillant bien sûr à ne pas empiéter sur le milieu. Je n'étais pas du genre à respecter les traditions mystiques, mais je n'étais pas totalement ignare non plus ; s'il y avait là quelque part un remède à mon malheur, et qu'il avait été gardé par des moines pendant des millénaires bien au chaud juste pour moi... Je pouvais bien me permettre de respecter leurs croyances et de bien marcher à droite pour laisser passer les dieux au centre du torii, non mais oh ! 



Pendant un instant, je crus qu'il ne s'était rien passé. Et à vrai dire, il ne s'était pas réellement passé quoi que ce soit. La brume, ubiquiste, nous avait cerné dès le départ et pour cette raison, des heures plus tard j'étais accoutumée à ne rien voir autour de moi au-delà de la portée de mes bras. Malgré tout, au même titre que notre première rencontre avec le lac suspendu, il y avait un trou dans les mailles éthérées. Une chemin minuscule et sinueux se dessinait à travers le lac de brumaille, au ras de l'eau. Tout n'avait été qu'une bête question de point de vue.



Moins naturel, tu meurs !




'Peu qu'ça l'est pô !



Je le suivais, un pas après l'autre, m'immergeant avec peine une énième fois en agrippant le bâton. Et une énième fois l'eau s'infiltrait jusque dans mes os. A l'exception faite que cette fois l'eau était pour je ne sais qu'elle raison remarquablement plus froide. Tellement que sa bise frigorifiée réveillait les stigmates de mes renforcements osseux. Je douillais humide puisque factuellement pas sec, enfin... pas sèche... Bref ; Pas pratique de faire mouillette habillée. Une poignée conséquente de désarticulations saumones plus tard, Maître Hoù fit halte. Il me tira vers lui et pointa quelque chose de son nez-patate. D'abord il me fallut réaliser que la nage stationnaire constituait une épreuve de niveau supérieur et une dizaine de petits bonds de carpes furent à peine assez pour identifier ce qui m'était indiqué. Deuxième leçon sur la natation : c'est éprouvant, même quand on veut rien faire. Cloué par la rouille sur un écueil, comme il y en avait des dizaines d'autres éparpillés à la surface, un ema valsait avec les clapotis de l'onde. Sur la pancarte rituelle était inscrit ceci :


降臨



D'moi tout.


Demandait-il, d'un ton patient.




E-eh bien... C'est un ema. Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une prière ? J-j'ai déjà vu le premier kanji, c'est celui de l'abandon, ce qui est précipité. Brrrrrle second c'est plus compliqué... Je vois "humain", "b-brr-brrr-brrbouche" et "dignité". A-au-aucune idée. Et puis il y à un sept. Qui est un chiffre sacré. C'est probablement une indication, le chiffre sept doit indiquer le nombre de... brrrr.. mètres à descendre ?


Ce n'est qu'au moment de fermer ma bouche et laisser mes hypothèses à mon Mentor, que je surprenais mes dents à faire des claquettes.



Dans l'idée de faire de moi une martialiste accomplie, je recevais également des leçons de kanji anciens, histoire d'être capable d'étudier de mon propre fait les manuscrit de l'école du poing simiesque. M'enfin, pour quelqu'un en décrochage comme ma fabuleuse personne, il n'y avait pas pire pensum. 



C't'en 'ffet l'kanj' d'l'aban'on. M'ici c'son sens l'plus simp' : l'descent', l'chu'. L'second c'lui d'la 'frontation, d'la r'contre. Si on l'mets 'semble ç'fait l'mot "ép'phanie". C't'un mot r'ligieux qui v'dire r'lisation. Mais j'crô b'in qu'c't'un jeu-d'mo'.


On ne pouvait l'entendre dans sa voix, mais il gigotait, sans aucun doute car lui-même était incommodé par le froid. Ce qui était beaucoup dire. 



"Brrr... Descente", "C-confrontation" et "Sept"... C'est plus qu'évident que c'est le plan pour accéder au temple ! Atchoum !


Prise d'un élan studieux, j'ajoutais en nettoyant mon tarin d'un revers de manche déjà imbibé de toute façon :


Et... On parle de moines... De torii, d'ema... Donc, très-très-très-très inspirés de la tradition shinto. J-je pense pas qu'on doive prendre en compte le sept avec le système métrique. Et tant mieux ! P-parce que s-sept mètres sous l'eau, jamais de la vie ! Je penche plus pour du hiro du coup !




'Pressionnant ! 'Cont', se't hiro ç'fait p'esqu' douze mèt' ahah ! 






EXCUSEZ-MOI ?!






Le caprice perdu dans la brume Gerve_hou_sennin_hm_head
«HéHéHéHé» 









J'en avais vu des documentaires sur la plongée. Les cours de physique avec ce raseur de Pascal, je les avais eu. Qu'est-ce que ces deux choses, ces deux mondes, celui de l'éclate et celui de l'ennui ont à me dire ? DANGER. D-A-N-G-E-R. On ne va pas en-dessous de dix mètres sans bouteilles. Pas quand on est humain. De surcroît surtout quand on sait pas ou à peine nager didiou ! Oh et : Troisième leçon sur la natation : on touche pas le fond, sans toucher le fond. Car oui, Maître Hoù m'apprit très vite que la première leçon avait une implication toute particulière chez les badauds n'étant pas au maximum de l'aisance avec la barbotance. Vaincre la flottaison était, semblait-il, un combat hors de ma portée de nageuse du dimanche, en particulier avec un sac étanche sur les épaules.


Afin de palier ce contretemps, j'eus l'immense plaisir d'être contrainte de jouer les chasseuses de cailloux "assez-lourds-mais-suffisamment-petits-pour-tenir-en-main". Et à mon plus grand dam, ce n'était pas une espèce proliférante sur la rive de la redoute du Triton. A mon retour, l'éclair cramoisi m'annonça que, (alors que rivalisais à coups d'impulsions des jambes répétées contre mes poids morts au bout des bras) pendant mon absence "r'marquée", il avait pris le temps de partir en repérage. Juste au-dessous du rocher marqué, une faille dans une partie moins profonde du lac formait un genre de couloir escarpé. Couloir doté, selon toute vraisemblance, de structures en coque qui "p'rraient" contenir des bulles d'air conservées. Tout cela sentais fort le saint-nectaire, mais faute d'alternatives à proposer, je consentis à le suivre par le mutisme.


Spoiler:




Il plongea, avec la grâce sans pareille du gros crapaud bien dodu repliant ses jambonneaux en hâte, pour regagner sa rainette adorée. C'était marrant, et un peu mignon. Trop maigre cela dit pour occulter l'appréhension. Quatrième leçon sur la natation : on y voit quechi ! Comment avais-je pu ne pas m'en douter ? Une très grande inspiration prise, je répondais à l'attraction du Bô en me faisant batracien également. En premier temps j'y voyais encore ; ça piquais les yeux et des résidus de je-n'sais-quoi grouillaient comme poussière au vent. Mais c'était tenable. Ensuite, plus rien. Le noir pas tout à fait complet. Réduite à ne percevoir que le remous contre ma cornée irritée, je me laissais traîner, repliant un genoux ou une épaule pour épouser les parois exiguës du chemin déchirant le fond du lac.


Très vite néanmoins, un gros problème se présenta comme une fleur. La respiration. A part gamine, je n'avais jamais été très afficionado de retenir ma respiration, comme ça, pour m'amuser. Bien au contraire, il m'avait été inculqué de la maîtriser, de la calmer, de l'accélérer en combat. Mais jamais de la retenir. Le cours du temps me parut s'étendre sur des siècles, mais je suis sûre que ce n'était qu'au bout de trente misérables secondes que je commençais à prendre conscience du choux pourri. D'abord, une pression. Ténue mais pénible, au niveau du plexus. Elle s'installa très vite au niveau des sinus. Comme si ce n'était pas ma bouche que je retenais mais mes yeux et mes narines. Qui devinrent ironiquement très secs. Puis ce fut au tour de la bouche de se lester, se raidir, se crisper. Sans omettre cette impression de laisser s'échapper un air qui justement ne s'échappe pas et c'est bien tout le souci. Ne sachant quoi faire à part attendre la halte salvatrice, je tremblais, je trépidais. Persuadée que détourner mon attention allait résoudre la question de la ventilation. 


La pression s'intensifia. Encore, et encore. Je n'avais en tête que l'image de mes poumons, faits d'un acier cabossé sur le point de rompre dans un spectacle bruyant. Je ne vis mon salut que dans l'empêchement de cette explosion. Je recrachais alors, désespérée, tout l'air que j'avais gardé tant de temps dans ma poitrine. Les bulles volèrent à la surface dans des blob blob blob goguenards. Je connus alors la paix, le soulagement. Pendant un espace de cinq, dix secondes. Au mieux. Car la pression ressurgit à brûle-pourpoint, infiniment au-delà de son intensité d'alors. Terrifiée, les idées obscurcies, je frétillais avec violence quitte à m'écorcher vive contre le basalte. Je frappais sur ma ligne de vie, mon arme de prédilection, quitte à le perdre. J'étais épouvantée, chacun de mes mouvements hurlaient leur déni de la fin qui se profilait, non loin. 


Une créature referma sa mâchoire contre mon poignet et m'attira férocement plus bas encore. Ma bouche s'ouvrit d'elle même et laissa le liquide répugnant embaumer mes entrailles dans un hoquet atroce. Soudain... Plus rien. Le voile aqueux avait délaissé mon visage. La surface ? Aidée des contractions douloureuses de mon diaphragme, l'eau étrangère s'échappa de ma bouche en quelques vomissements consécutifs. Et après ça... De l'air ! Tiède, avec une odeur pas fameuse mais de l'air. Du vrai air ! Le visage amène de mon Maître se tenait en face de moi, le menton baignant dans le noir et mon poignet parfaitement intact.



Hep ! Prends t'temps p'ti' gar'.




«Beeeeeeeeeuh»


Nous nous trouvions sous un genre de coque de petit bateau, en croupe et à pignon ce qui lui donnait l'allure d'un toit de temple shinto. J'haletais précipitamment, savourant chaque gorgée d'oxygène à la manière de macarons hors de prix. Dans la panique, j'avais dû perdre mes pierres de lestage, mais peu importait. J'étais déjà foutrement immergée. 


Calmos qu'même ! 'N'en à pas b'coup !





Ghh.. Ghhh... Ghe vais bien... Ca va vous ? Gh.. Ghomment vous avez fait pour la repérer d'aussi loin en un repérage cette bulle d'air ? 




'Y va ! 'N'est p'loin d'surfass', c'pour çâ ! 'Gard' !



Il arqua son cou de façon à le sortir du carcan du toit, comme s'il s'apprêtait à regarder un ciel pluvieux hors de son parapluie. Je fis de même et constatais qu'au-dessus, à une dizaine de mètres un ciel azur torrentueux, scintillant de minuscules éclats pesait impétueusement.  



On est pas encore rendus ? 



Se déboitant presque l'épaule pour faire passer sa main dans notre abri, il me répondit en toquant sur le bois. 



火山



"Feu", "Montagne"... Volcan et... "Quatre". C'est pas du tout pas rassurant !


Le sarcasme était tenace chez moi vraisemblablement.






'Cor' p'ti 'fort ! 'Ssaie d'r'c'acher p'tit à p'tit, t'tiend'a pu lon'temp' !


A ces mots, il me pétrit la tête dans une caresse qui manquait cruellement de douceur. Il n'était pas doué pour ça, il ne l'avait jamais été. Mais c'était assez réconfortant.



Après un moment insuffisant, de deux respirations conjuguées, nous puisions dans les ultimes réserves de notre gîte de bois. Il fallait reprendre la route. Cette fois-ci, je pris mes précautions et me délestais progressivement de ma cargaison vitale. A mi-parcours, tandis que le manque commençait à renaître, je fus happée par mon Mentor. Un truc devait briller, et pas qu'un peu parce que pouvais clairement voir la chemise mauve à fleurs vertes d'Hoù Sennin. En bas, le lit de roche était zébré de plaies rougeoyantes qui émettaient une lueur fiévreuse. La redoute avait dû être bâtie sur un site volcanique, ce qui expliquait la physionomie singulière du lieu. De ces étranges blessures s'échappaient des blocs entier de bulles, qui venait se perdre dans un renfoncement plus haut. Ni une, ni deux, je précédais mon enseignant en plongeant ma tête à l'intérieur d'une cloque naissante et y puisait ma ration de gaz. La peau de mon visage parut rôtir dès la première seconde à l'intérieur et l'air était sec, lourd à l'instar de celui d'un pot d'échappement.  


Il me gratifia d'un pouce levé interrogateur auquel je répondis et m'invita à le suivre prestement. En deux brasses il s'était engouffré au cœur de la cavité vers laquelle les bulles se dirigeaient. Il lâcha le bâton, mais je n'en avais plus besoin parce que je voyais le fil marquant une absence d'eau. Le laissant remonter, je me hissais des deux mains dans une grande inspiration de triomphe.


Spoiler:




Nous étions atterris dans une grotte, qui au premier clin d'œil se signalait d'elle-même comme notre destination finale. Sur un cairn volumineux placé juste à côté de mon Maître, essoufflé,  deux kanjis en lettre ocres étaient tracés.


鷄 蛇




Sa race boulba ! On y est !






Hep ! G'os mots !




Héhé, oui, pardon.



Une odeur rance me prit les narines. Le temple était vieux, y'avait pas débat ! Nous étions enfin arrivés ! La Fontaine de Jouvence était toute proche désormais ! Avant de continuer, nous fîmes un check-up du contenu de nos sacs ; aucune perte à déplorer. Il ne nous restait plus qu'à explorer l'artère étriquée qui se profilait à notre gauche.
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MessageSujet: Chapitre 3 - Les exilés d'Ondowakusei   Le caprice perdu dans la brume ClockMar 22 Juin 2021 - 20:33
Le caprice perdu dans la brume Grottes





Clic.



Clic.

Et la lumière fut ! Une lampe torche chacun, la pénombre de l'antre sous-marine fut en grande partie chassée. Première surprise : l'excitation m'avait fait occulter le cadeau laissé par la bulle d'air. Le visage de mon Maître, auparavant sacrément écarlate pour une raison qui m'échappait, avait tourné pivoine. Et à en juger par les signaux de brûlure bombardés par le mien, je devais aussi avoir les traits d'une personne excessive sur le blush. Qu'à cela ne tienne, ça ne paraissait pas si terrible. Nous parvînmes à la conclusion que cette première salle n'avait rien à nous offrir sinon les deux symboles peints à l'argile. 



Ils ne ressemblent à rien de ce que je connais.






C'pas d'kanj', c'sont d'z'id'og'ammes ch'nôis ! Cui'là c'est l'sin' d'coq. 'Lui d'se'pent. Eul'z'diaque 'strologique.






Un coq et un serpent... Si ça annonce pas un Basilic je ne réponds plus de rien ! Je connais mes classiques non mais !


M'amusais-je, un sourcil néanmoins arqué d'inquiétude.





Ne comprenant pas un traitre mot de ce à quoi je faisais référence, il fureta dans son sac et scruta avec attention une page jaunie aux angles cornés. Elle avait été sacrément caressée la gueuse.



C'leur D'vinité ! Om'zu, l'triton esp'i d'l'eau. 'Tin'ons ! 'Peux 'ller qu'par'là ! 





Je lui emboitais le pas, menant un conseil restreint avec mes pensées. Omizu. Un nom lourdement évocateur ou terriblement fainéant, c'est selon les goûts ! Se faire appeler "l'eau" en étant un "esprit de l'eau" c'était quand même quelque chose. J'avais pourtant cru que notre langue était celle des poètes abscons, préférant le laconisme imagé aux simples descriptions de ploucs... Ignare que j'étais ! En y réfléchissant, le "O" apportait un peu de profondeur à une qualification de marmot de trois piges. Il marquait le respect fondamental et sacré, dû à un Dieu et personne d'autre. Allait-on assister à l'œuvre divine ? L'occasion n'était jamais arrivée, donc nous n'en avions jamais parlé... Est-ce qu'Hoù Sennin était croyant ? Je gelais une seconde ma réflexion pour concentrer mes yeux sur lui. Il avançais à travers le chemin serpentin et accidenté comme s'il avait eu quarante printemps de moins.



Non, pas envisageable. Il était rationnel, logique. Au fil des lectures du manuscrit de l'air, un traité exalté sur les enseignements Shaolin, il n'avait cessé de séparer le tissu religieux de la bobine des faits à retenir. Mais si j'avais admis ça par association, convaincue qu'il pensait comme moi ? Nous allions au devant de rencontres extraordinaires, j'en étais sûre. Mes heures avec Lara Croft sur Playstation 2 parlaient pour mon savoir. Je pouvais admettre qu'il y aurait dans ce temple des pièges tarabiscotés, des créatures hors-du-commun... Je pouvais même accepter l'existence de la Fontaine de Jouvence ! Car toutes ces choses pouvaient avoir une origine simplement encore au-delà de la portée de la raison. Mais de là à reconnaître l'éternité et tout le tralala... "Auros" lui-même n'était-il pas qu'un ixième alien à la puissance dépravée de plus ? En dépit de mes considérations, je devais tenir ma langue. Ce n'était ni le jour ni l'endroit pour offenser les convictions de mon Maître.


L'artère débouchait sur une kyrielle de galeries similaires aux ruches d'abeilles. L'intégralité des meubles de ce complexe sous-terrain était façonnée à même le sédiment, fondu via quelque procédé grossier. Les chambres par exemple, où ce que j'assimilais comme tel, relevaient de de vulgaires alcôves comprenant un banc de pierre lisse, faisant office de lit. Les armoires n'étaient pas moins rustiques. Cette partie autrefois habitée était la promesse d'un trésor de savoir infini. Hélas, pas une fresque, pas un parchemin, pas une calligraphie, pas un outil... Nada. Quepouic sinon une torche abandonnée par terre. La dernière fois qu'il y avait eu une once de luminosité ici, on conservait encore la nourriture avec du sel. Mon Mentor m'apprit que l'ordre des moines-guerriers ne gardaient rien sous trace écrite, ni pictographique ; les cénobites privilégiaient la transmission orale. A la bonne heure ! 



Comment vous en savez autant sur cet endroit si il était perdu depuis près de deux siècles ? Je n'ai pas l'impression que nous étions les seuls à pouvoir y parvenir... Jusqu'à présent ce n'était pas une sinécure mais... On à vu pire, pas vrai ?




Nyark Nyark ! C'bin vré !  



Sans me regarder, il me tendit son carnet, continuant l'investigation des lieux. Je le refermais afin de consulter la première de couverture. En lettres dorées, conscrites sur le cuir délavé :
 




"Compendium ex Orientem"
-propriété du Professeur Ootsuki-






A l'intérieur, j'y trouvais des pages tâchées, saturées de mots les uns sur les autres, de gravures splendides et de gribouillis indéchiffrables. Le calepin ne s'attardait pas que sur la Redoute du Triton, mais sur pléthore de sites archéologiques et ésotériques perdus du pays. Bien que le titre était en ce que j'identifiais comme du grec, une vieille langue outre-mer, le reste du livre était écrit en katakanas. J'en concluais donc que c'était pour se la péter grave. 



C'p'tenait à 'vieux p'fesseur d'folkor' occ'dental. 'L'était passionné d'l'occu't et d'shinto. C'lui à coûté 'blind'. T'm'as d'mandé p'quoi l'est l'premiers à 'rriver ici. C'simp'. L'beauté d'mond' l'p'tient à d'riches qu'gard' l'bell' choses s'crètent r'in qu'pour eux. 'Tsuki l'a jamais eu l'temps d'venir p'lui-même. L'rest' d'mond' 'pas cherché p'loin qu'la b'ume. V'la tout.




Donc... On sait pas à quoi s'attendre, à partir du temple ?


Lui demandais-je, en lui tenant le carnet en retour.




T'tout c'pris ! Héhé !




La vache.





Le caprice perdu dans la brume Anciens



Un tour entier de la grande aiguille nous permit de comprendre que les salles étaient agencées à la manière d'un labyrinthe. Ne nous perdants jamais de vue, nous progressions par aller-retours, de bas en haut pour revenir en bas, étant donné que la majorité des couloirs malaisés allaient en s'élevant. Toujours aucun chausse-trappe antique rencontré. Mais... Tout à coup, venu d'un des tunnels les plus éloignés de l'embranchement dans lequel nous étions, je perçus un bruit léger, un genre de couinement. Une souris ? Un rat ?


Je prêtai l'oreille, mais n'entendis plus rien. Je m'étais fait des idées. Puis cela recommença. C'était des crachats, accompagnés d'un autre son, qui m'emplit de terreur : le sifflement caractéristique du bois qui brûle. Une œillade à mon Maître me confirma que ses feuilles de choix l'avaient prévenues également. Dégainant mon Bô de son étui de lin, je me mis en garde et avançais précautionneusement. Au sommet, une grande salle ovoïde nous attendait. Les bruits trouvaient leur origine ici, j'en étais persuadée. Pourtant, Il n'y avait rien, sinon une statue identique à celles à la surface, autour de gravats et de fossés. La statue avait quelque chose de différent. Elle aussi, avait le visage et la plastique accidentée. Mais sa bouche était discernable. Le sculpteur l'avait gelée dans une torsion affligée. Le guillotiné hurlait, les bras tendus devant lui comme s'il nous présentait quelque chose. 


Et, le hasard faisant comme je de dis sans arrêt, terriblement mal les choses, les vociférations avaient disparues. Paralysés par l'attente, mon Maître et moi avancions par à-coups. Un pas, puis un autre, marquant chaque pause d'un paquets de secondes mesurées, à l'affut du moindre bruit marquant une confrontation évidente. Soudain, ils revinrent. Les crachats, les feulements. Vlan ! Une chappe monstrueuse d'eau implosa sous les pieds d'Hoù Sennin et l'entraîna au plafond au travers duquel il disparu. 


Spoiler:




Une dizaine de geysers jaillissaient en feulant, charclant à vif mes oreilles par le biais de la réverbération. Ce que j'avais pris pour des simples gravats étaient en réalité les cratères de sources bouillonnantes, dont les émanations de vapeurs vinrent faire une addition exceptionnelle à mes plaies faciales. Le vacarme prit fin aussi vite qu'il était venu, mes oreilles sifflaient toujours le bal masqué nonobstant. D'une voix chevrotante, j'appelais :



Maître ? Maître ?! 



Nul ne répondit. Volatilisé, sûrement au travers des cavités tapissant le plafond. Ce devait être un réseau d'anfractuosités calculé, c'était trop bien placé. Il y avait donc une chance que mon Maître ailles bien ! Ne sachant quoi faire, je courus par instinct vers l'effigie. De plus près, j'eus l'épouvantable impression qu'elle me souriait.









Je pus assister à cinq cycles complets du tapis d'eau catapultée, dépourvue d'idée pour m'en sortir. J'avais appelé à m'en déchirer les cordes vocales mon Mentor. A tel point que mes soupris de frustration sonnaient comme les bêlements d'une chèvre. La sortie évidente était incarnée par les geysers, mais je n'étais pas séduite par l'idée de me jeter à corps perdus dans un bain incandescent. Les onsens c'était sympa, mais je passais mon tour sur ce coup là. Les geysers s'interrompirent pour la sixième occurrence. J'allais reprendre mes morfondures dans le calme intermittent quand la rumeur sourde d'une toux résonna, derrière la statue. Derrière le mur. Sans m'accorder une seconde de réflexion supplémentaire, j'entreprenais ce que je savais faire de mieux : cogner. Cogner comme une brute épaisse. 





Empruntant ma botte Sifu favorite, la porte du ciel, j'encastrais mon tibias contre l'abdomen de la statue d'un seul coup sec. Elle fut réduite en cinq morceaux inégaux qui tombaient au sol tels des mouches. Je comptais m'en servir pour endommager la paroi du mur avant de m'y attaquer toute seul mais un cliquetis retentit et un tronçon du mur coulissa pour se renfrogner dans le sol bruyamment. Il y avait eu là certainement un mécanisme à résoudre, et, envoyant mon angoisse se faire voir l'espace d'une seconde, je riais à gorge déployée tant cette situation illustrait gravement ma personne.  



Allez tiens, Nique !



Derrière la "porte" se dissimulait un ruisseau à l'onde claire, qui rencontrait très vite un aven. La suite se passait sans doute en-dessous. La quinte de toux amère se fit entendre à nouveau. Pas le temps de réfléchir, ni d'avoir peur. Je saisis la tête décapitée deux fois de l'effigie et m'en servis de plomb lesté. Splouch. Certes trop lourde, je ne pouvais me payer le luxe de changer. Les premières nagées furent un challenge contre l'attraction et accessoirement contre l'eau fraîche sur mon visage ébouillanté. Mais quand je dus baisser la tête pour ne pas me prendre l'aven en pleine face, j'avais la sensation d'être libérée. Sensation peinarde, qui muta pour en un danger. J'étais entraînée par le courant, et trop vite. 


Le ruisseau affluait vers un siphon. D'un geste de celle qui se sait condamnée, je lâchais la tête de la statue, tentant de tout mon saoul de nager à contre-courant. Par-dessus mon épaule, elle craqua avec force, me chantant le sort qui m'était réservé. Toutefois, mue par la force propre aux miracles uniquement, ma main droite empoigna un bloc. Déployant tout ce qui me restait, j'abordais un bat-flanc à la force de mes épaules. Je n'avais pas été happée. Je fis montre de remerciements notables au sol, l'ayant honoré de ma charge pondérale de longues minutes, le temps que ma respiration se rétablisse. 






Lorsque je me remis d'aplomb, ma lampe était morte. On ne rechargeait pas tout le temps les piles en rentrant le soir. Apparemment j'avais oublié de le faire la veille. Bravo moi ! Soumise aux ténèbres, j'empruntais le seul chemin possible : un escalier hélicoïdal, m'appuyant sur la cloison d'une main pour rythmer ma catabase. A mesure que je descendais, mes narines répugnaient davantage le parfum rance d'œuf pourri qui embaumait le spéos. Les marches conduisaient vers un cul-de-sac cyclopéen illuminé, orné d'une idole de reptile taillée à même le mur, munie d'un bec d'oiseau façonné dans un minéral bleuté qui étincelait d'un brasillement cyan éclatant. La statue devait mesurer au moins dans les trois mètres. Sa patte gisait le long du mur, se terminant au contact d'un relief circulaire qui se détachait du mur. A sa droite, une statue de moine y était reliée. Agencée dans une position de poussée. Elle essayait de pousser la roue de pierre. A son pied, trois sillons profonds s'évadaient aux trois extrémités de la pièce.


En m'approchant de plus près, j'aperçus au centre de la roue, inscrit avec une précision surréaliste :

降臨
"Epiphanie"


Je ne savais où mon Mentor pouvait se trouver. En revanche j'étais assurée que la Fontaine de Jouvence se trouvait derrière cet huis de granit. Si je trouvais l'une, avec un peu de chance je pourrais retrouver l'autre. Seulement, la déplacer n'était pas la plus mince des épreuves. Toute la journée j'avais épuisé le haut de mon corps en apprenant à nager. Il ne me restait plus que les jambes. Et la statue m'empêchait de pousser. Blam. Blam. Blam. Mon objectif, la solution au défaut que m'avait laissé la nature se trouvait au-delà de trente centimètres de roche volcanique. Blam. Je n'avais pas entrepris tout ce parcours du combattant en vain. Blam. J'irais sauver mon Maître avec mes pouvoirs. Blam. Je ferais réapparaître la foudre cramoisie. Blam.


A chaque coup de pied, le rempart se fissurait un peu plus et l'odeur pestilentielle s'intensifiait. 
BLAM.


Spoiler:


ARGH


La porte céda contre un ultime tumulte, au même titre que ma jambe, mon tibias jouant les angle-droits interdits avec mon genoux tétanisé. Une eau aux reflets de jade jaillit furieusement, m'arrosant allègrement au niveau du torse. Par-delà la faille demeurait un lac intérieur de couleur identique, dont les remous scintillants se pressaient les uns sur les autres pour m'atteindre moi



La fontaine de Jouvence ! 


Hoquetais-je, entre deux cris de douleur.





L'accueil que je lui fis fut grimaçant, et ce pour une raison tout à fait extérieure à ma jambe électrisée d'affliction. En effet, la note d'œuf pourri s'était aggravée, irritant mes poumons de cette odeur capable de faire chavirer les cœurs. Littéralement, puisque je rendais le reste de tasse que je n'avais pas déjà vomie, chaque soubresaut m'arrachant un gémissement plaintif. 
Le reste échappa à ma vigilance. Mon instinct prit le dessus et me fit me jeter sur le côté à cloche-pied, la source gorgeant alors les trois travées prévues à cet effet. Fiévreuse, je contemplais les reflets d'émeraude se mêler à la lueur céruléenne projetée par le bec, les deux lumières dansant lascivement à la cadence de l'écoulement. Le spectacle fut interrompu par un terrassement vif accompagné d'un arôme de chair carbonisé qui parvenait à se faire une place parmi l'œuf tourné. 



Je n'eus pas besoin de soulever mon t-shirt pour comprendre : il était déjà dissout, cédant la place à un magma de chair rissolée rouge et d'escarres noires et mauves. Mon instinct me sauva encore en m'ordonnant d'arracher le capuchon de mon sac pour atteindre ma gourde et arroser abondamment la morsure de la Fontaine. Les mots ne sauraient décrire la douleur que j'ai éprouvée à cet instant. Alors je ne l'exprimerais pas. 




 
Je me réveillais, abrutie par la tétanie, au bord d'un étang naissant de la substance verte. Je rampais aussi loin que possible. Je n'allais pas risquer un contact de plus avec cette eau maudite. De la brume s'en échappait par nappes de grosses volutes. C'était elle qui générait tout la brume dehors ! C'était donc ça, la fameuse "Fontaine de Jouvence" ? Un attrape-nigauds, un piège à cons et à minaudes en mal d'amour-propre ? Tu avais été bien conne ma pauvre Haïko. D'un claquement de langue de haine personnelle, je risquais un coup d'œil à ma blessure au torse. C'était pas joli. Du tout. Mais la laver à l'eau s'avérait avoir freiné la morsure de l'eau. Qu'est-ce que ça pouvait être pour provoquer autant de dégâts sans que je m'en rendes compte instantanément ? Ouch. Argh. J'avais mal, trop mal pour réfléchir. 


Blam. Je vis mon salut en un bon coup de boule contre le sol, qui à défaut de me remettre les pendules à l'heure dissipa au moins le brouillard qui empêtrait mon esprit. Une telle réaction aurait dû me faire souffrir le martyr dès le départ. Mes nerfs avait donc étés touchés illico... Il s'agissait donc d'un acide, et pas de jardinerie. Je fis le tri dans les possibilités qui s'offraient à moi pour m'en sortir. Je ne pouvais pas remonter avec ma jambe, et ramper m'exposerait à la montée infatigable du lac intérieur. Nager n'était pas une option, car je n'aurais jamais pu être de l'autre côté à temps, l'acide aurait déjà rongé les derniers lambeaux de peaux protégeant mes os blancs. De l'acide, de l'acide. Qu'est-ce que j'avais retenu de toutes les heures où je n'avais pas fait l'école buissonnière en cours de Science ? Acide... Base... Deux polarités d'un même phénomène, l'activité hydrogénique... Hmmm... Mon Maître ferait sûrement référence au Yin et au Yang héhé... La stabilité de t- Ah mais bien sûr ! Il suffirait d'équilibrer le pH ! Mais où est-ce que je pourrais trouver quelque chose de basique ?!


Cherchant à tue-tête ignorant la santé de mes cervicales, je cherchais sur le sol, sur les murs, un matière que j'identifierais comme basique. Pauvre idiote, je ne pouvais même pas prétendre au rang de géologue du dimanche. Mais soudain une idée me vint. Le bicarbonate de soude ! On s'en servait souvent pour faire du gulash ! La soude, c'était basique, non ?! D'un coup de bec, je sortais le paquet de Bicarbonate du reste des ustensiles. Y'en aurait-il assez ? Était-ce suffisamment basique pour équilibrer le pH ? Et si oui est-ce que la réaction serait dangereuse ? Etaient tout autant de questions que je ne me posais pas


Spoiler:
 


Il neigeait à gros flocons de la boîte cartonnée. Ils voltigeaient par millier, dans un calme silencieux en total contraste avec la fulmination surpuissante qu'ils causèrent en se posant. Ca n'avait duré qu'un instant. Un pshiiiiiiiiiiiiiiit assourdissant, un flash fugace mêlé à une nuée de crépitements, puis... Plus rien. Le courant montait toujours mais arborait une robe incolore et fade. La cacophonie n'était cependant pas terminée. Il y eut plusieurs tremblements de terre successifs, qui firent tomber des draps de poussières. La Fontaine avait été neutralisée, et le temple ne semblait pas aimer ça. Il me fallut beaucoup d'efforts pour me mettre en boule et couvrir ma nuque. Le dernier ampleur fut le plus âpre, détachant par pans entier des membres de la représentation d'Omizu. Enfin, il y eu la cerise sur le gâteau des catastrophes : la vague. La Fontaine n'avait pas dit son dernier mot. Imposante lame scélérate balayant tout sur son passage, je fus entraîné avec le reste des débris vers une fin funeste et douloureuse.










Quand mes paupières s'ouvrirent j'étais étendue sur le flanc gauche, dans une position inouïe. Arf. Mon téléphone n'avait pas résisté à la flotte. Et je n'en avais cure, car mon attention était portée sur ma main droite. Celle qui tenait à présent un pendentif fleuri d'un éclat de cristal noir.


Spoiler:




J'étais plongée dans la pénombre d'une antichambre sphérique, entourée de sept statues de moines, toutes en posture de révérence. Parmi eux, un bassin forgé du même minéral, regorgeant d'eau smaragdine duquel s'étendait un modèle réduit de l'idole titanesque du triton. L'eau verte passait à travers la statue d'airain en grondant. On aurait presque dit que c'était la créature qui grondait, d'une voix pure. Comme si elle me félicitais. Je pouvais le voir très clairement dorénavant, sur ces statues intactes. Leurs traits osseux, efflanqués, à la limite du difforme réfugiés sous des bures faites de feuillages aux coutures extravagantes... Et leurs yeux surtout. Leurs yeux de pierres peints d'une touche de peinture dorée n'avaient rien d'humains. Les moines-guerriers de la redoute du Triton n'étaient pas humains. Epuisée, à la limite de tomber dans les pommes, j'acceptais le cadeau et me le passai au cou. 


L'atmosphère craqua aussitôt, et du coin le plus éloigné de la pièce un éclair bleu darda vers moi. Je fis mine de me protéger en me couvrant la visage, ayant connaissance que mon effort était vain. A mon plus grand étonnement, le rayon ne frappa jamais. Il se contentait simplement de danser autour de moi en grésillant. Ce n'était pas un piège. Ce n'était pas un conte abracadabrant. La Fontaine de Jouvence avait réparée ma tare ! D'abord, un "Hhh" d'exhalaison ahurie fuit des commisures de mes lèvres. Puis, mes cordes vocales, sévèrement endommagées, laissèrent s'échapper un cri. Je ne saurais dire s'il était de douleur ou de joie. A la faveur luminescente du bassin, j'aperçus une faille vers laquelle je me dirigeais en claudiquant, la banane aux lèvres.   


La faille me conduit vers tout un réseau de cheminées tordues d'où s'échappait de la vapeur d'eau par nuées. Dans l'une d'elle, si maigre que je dus ramper en garde une joue collée au sol, je retrouvais mon Maître sain et sauf quoi que trempé jusqu'au os. Je le tirais de son évanouissement en lui donnant le peu d'eau qui me restait. Sa première réaction au réveil fut de regarder le pendentif, puis moi, avec de grands yeux tristes. Puis, il m'offrit un sourire timide.



'Dormi l'temps ?




A peine.


Mon ton se voulait consolant, mais emprunt d'une ironie non contrôlée.





Je lui expliquais tout sur le chemin du retour. La moindre de mes péripéties lui collait un fou rire, sans doute à cause du choc qui l'avait envoyé au pays des adorateurs de sucre à crotte de nez. Revenir sur mes pas ne fut pas chose aisée. Je savais que la cheminée entre cette cavité et la sortie n'avait pas été étayée pour des géants, mais je n'en avais pas mesuré l'exiguïté jusqu'à ce que je doives aider mon Maître prenant conscience de toute l'importance de son embonpoint. Il se cogna le front à plusieurs reprises, lâchant des :




Chiure !



A l'occasion. Je ne relevais pas ses injures pour le taquiner, trop contente qu'il ne lui soit rien arrivé. La montée fut longue pour nous deux, mais nous parvinrent à un ultime escalier en colimaçon qui fut particulièrement éprouvant à gravir mais qui nous ramena droit sur le petit îlot où se trouvait le torii. 


Spoiler:


Pour une raison que je n'aurais su expliquer, le rempart de brume semblait bien moins opaque qu'auparavant. Mon Maître m'intima l'ordre de m'asseoir, tandis qu'il se pencha pour souffler dans la corne attachée au torii. Un son claironnant en sorti et à mon plus grand étonnement le manteau de purée de poix se dissipa aussitôt. Je compris alors la nature des tremblements de terre d'alors. Une multitude de tourelles avaient surgis des eaux profondes du lac. Tous les mécanismes du temple dépendaient de ce lac intérieur que j'avais saboté. Saisis non pas par la beauté touchante et paisible du lieu mais bien par la fatigue colossale d'une journée pareille, nous décidâmes de camper adossés au portail de bois écarlate. 



'Lors, t'vas faire quoi main'nant avé t'pouvoirs ?


Il me questionnait en mâchant avec contentement ses haricots en conserve froids. Nous n'avions pas eu la force de faire un feu. 




La même chose que d'habitude, m'entraîner à vos côtés, combattre le crime... En étant efficace par contre !


Dis-je en me lovant plus confortablement contre le poteau du torii.




Nyark Nyark !




Dites Maître, les statues. Elles avaient une apparence étrange. C'étaient des aliens les moines, pas vrai ?




Ond'tami, oui. Peup' d'phi'sophes. 'Z'étaient 'ex'lés. C'là sont v'nus s'terre en f'sant séc'ssion avé l'dieu d'leur peup'. 'Coq c'acheu' d'feu. L'vie s'leur p'nète l'était d'fficile. Eul' c'yaient en leur 'rigine s'terre. Eul' c'yaient en dieu ent' l'feu est l'eau. L'Triton. 'Pensaient qu'leur 'rigine l'était s'terre. 'Tsuki p'saient qu'les moines gardaient l'secret d'l'indivi'lité d'leur peup' dans c'temp'. 




La Fontaine ?




'Têt' b'in p'ti' gar' !




Et ils sont devenus quoi ? Comment ils ont disparus ?






Y'en qu'disent qu'z'ont étés 'xterminés. D'aut' qu'sont r'tournés s'leur p'nète d'rigine. Moi j'pense qu'z'ont r'noncés al'vie d'ermit'. 'Sont ouverts aux humains, p'finir leurs jours. Eh. Y'nou'r'semb' t'crois pas ?




La Fontaine leur aura légèrement affinés les pores quand même !




Co-mment ?! T'sens pas r'jeunis 'têt ?


Gloussait-il en extrayant une cannette d'Ichiban Tanuki Strong.




Boh ! J'ai pas l'impression d'avoir rajeunie, c'est même le contraire ! J'suis toute fripée regardez !


En éclatant de rire, je découvris la serviette qui m'avait servie de poncho jusqu'à présent pour montrer la plaie que j'avais au torse, me retenant d'esquisser une grimace d'inconfort.




C'dant ta tête ça ! T'veux thé qu'mousse ?


Il me tendait sa canette avec des yeux maboules, sûrement 




Héhé ! J'dis pas non !



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Les lucioles s'étaient levées sur la redoute du Triton, et pour la première fois depuis près de deux siècles, elles dansaient pour le plus grand plaisir de spectateurs aux yeux remplis d'étoiles.
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Le caprice perdu dans la brume
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