Onzième verre

"Fermé"

Enki venait de faire sortir son dernier client et de fermer la porte, retournant l'écriteau ouvert sur la vitre. La journée avait été banale... Comme toutes ces dernières. Il avait pris un petit rythme, une vie pépère. Une vie ordinaire.
Comme chaque soir il desserra sa cravate puis ouvrait son gilet, rangeait le comptoir, passait un coup de chiffon. Il fit le tour des tables aussi, et mit les chaises en hauteur avant de passer un coup de balai. Enfin il se servit une petite vodka pour se détendre. Il s'adossa comme chaque soir sur le même mur pour le boire, pensif, face à une fenêtre.
Puis, enlevant le reste de superflu de sa tenue de travail, il montait les escaliers vers ses appartements. Il saisit une tenue propre dans un placard du couloir et se dirigea vers la salle de bain, prendre une douche.
Il resta d'abord 5 min immobile sous l'eau chaude avant de commencer à se savonner, comme chaque soir. D'abord le corps, ensuite le shampoing.
Serviette, puis pantalon et t-shirt blanc. Enki les cheveux humides noués dans une queue de cheval se dirigea vers sa chambre... Il ouvrit silencieusement et regarda dans le l’entrebâillement le lit.
La chambre était comme elle était depuis des dizaines de jours maintenant... Rien ne bougeait, même pas le sourire apaisé sur les lèvres du petit invité qui dormait dans la couche d'Enki : un garçon brun, aux yeux doux, un jeune ado vêtu d'une chemise trop grande pour lui. Gohen...
Le Maître du Démon ne s'était plus réveillé depuis des jours, sans doute trop fatigué par ce changement de corps. Enki, comme dans une routine s'approcha et constata qu'il respirait bien. Il posa sa main sur le front de son protégé puis s'assit sur une chaise près du lit. Il regarda l'enfant quelques minutes, mi-attendri, mi-mélancolique... Gohen lui manquait. Et encore plus depuis qu'il avait cette naïveté touchante de petit garçon : Enki s'était donné ce rôle de protecteur, en bon serviteur de sa majesté.

" Dormez-bien mon Maître. "

Enki se leva pour quitter la chambre. A côté du lit de Gohen, Enki s'était installer un matelas d'appoint pour veiller sur lui.

Depuis des jours Enki n'avait plus dormi dans son lit, veillant à respecter le protocole et laisser son Roi se reposer.
Depuis des jours Enki n'était sorti plus d'une heure du bar, soucieux de ne pas laisser son maître seul : qui savait s'il ne serait pas pris pour proie par des démons ambitieux voulant profiter de son état...
Depuis des jours Enki ne voulait simplement pas que ce petit garçon sensible qui abritait l'aura de Gohen ne se réveille seul.

Enki de retour dans la salle du bar alluma la télé et installé sur une banquette zappa, un thé au citron sur ses genoux.
Il avait l'air calme mais ne souriait pas. Il s'ennuyait. Il avait même renoncé à aller chez Nate : Un bon serviteur fait passer son maître avant tout le reste, même si cela induit une solitude profonde... Et une profonde mélancolie.

Sa tasse contre lui il pensa comme chaque soir que ce statut de "veilleur" il l'avait souvent eu. Yachiru avait elle-même passé beaucoup de temps dans le coma ici même. Il avait veillé sur Bulma de la même manière. Si Enki avait un fardeau, c'était d'être systématiquement le dernier debout. Le veilleur. Celui qui s'inquiète en silence devant des protégés endormis.
Enki était un patron de bar, un homme qui sert, qui écoute les confidences au comptoir mais qui le soir venu reste seul.

Il était celui qui s'accrochait à des sentiments envers des gens, mais ça lui valait souvent d'être fidèle à des silences... Donner de l'amour à une Bulma qui ne se rappelle pas de lui, à une Yachiru qui ne se montrait plus jamais à lui, à un gamin endormit...

Il but une gorgée en se disant qu'Hikari et Nate lui manquait... Comme tous les soirs Enki avait envie de les appeler.
Mais comme tous les soirs Enki s'endormait sur la banquette, la télé allumée, fatigué, prêt à recommencer la même journée que la veille.

Il était très tôt, sans doute 6h du mat', quand Enki se réveilla brusquement, comme s'il venait d'être frapper par quelque-chose... Tombant presque de la banquette où il s'était assoupit, il se leva pour aller dans sa chambre d'un pas stressé : là il vit le petit Gohen, enfant, dormant dans son lit, avec une respiration aiguë qui rassura le démon. Il allait bien. Il était là.

C'était un mauvais rêve sans doute... Il avait eu l'impression que son maître était parti hors du bar, et surtout que son aura était trop complexe pour être aussi sereine que celle de l'enfant qu'il était devenu.
Enki, soupirant de soulagement, s'adossa à un mur et ferma les yeux : il s'était levé vite et son coeur battait la chamade.

Sauf que...
Cette impression était toujours là : La patron du bar avait beau s'être calmé et se concentrer, ses sens très aiguisés ne le trompait pas ! Gohen était dehors. A la base même. Mais, pas seul... Enfin c'était étrange...

Enki, troublé retourna dans la chambre où dormait son protégé, dans un coma qui durait depuis des jours. Il lui baisa le front comme pour tenter d'être en contact avec sa conscience, mais c'était plus une excuse à un geste tendre et paternel.

"Comment pouvez-vous être là et ailleurs en même temps, Maître ?... Comment faites-vous cela ?"
Le serviteur de sa Majesté était à genou, pensif. Que devait-il faire ? Rester ou aller voir cet autre entité qui ressemblait à son maître dehors ? Et si justement c'était risqué, que cet entité cherchait son protégé ?

Le démon aux cheveux longs et noirs tapait nerveusement le sol avec ses doigts fins et agiles. Il n'en pouvait plus d'attendre, immobile, enfermé. Il avait choisit le risque.
Il bondit et sortant de la chambre, il enfila rapidement une veste clair sur son t-shirt blanc et sortit du bar, qu'il referma.

Sur la porte la pancarte "FERME" vacilla un moment, alors qu'Enki suivait la trace de cette aura étrange à la base de lancement.

Le démon qui avait quitté le bar de bon matin était revenu : Un peu pressé de revenir près de son protégé, le jeune Gohen endormit chez lui. Mais il ne revenait pas seul et contre toute attente il avait "ramassé" un autre Gohen pendant son escapade.
Deux Rois, deux Maîtres... C'était doublement compliqué mais c'était deux fois plus de présence à ses côtés.
Le patron ouvrit la porte d'un geste de clef habile qui trahissait une habitude certaine. Le désordre minime mais bien présent témoignait qu'Enki avait fermé le bar ces derniers jours et avait été seul ici. Une solitude dévoué à la surveillance d'un enfant Roi trop faible pour se défendre si un prédateur approchait.

" Veuillez excuser le désordre... "

Enki avait ramassé rapidement un torchon et remit deux chaises à leur place avant de débarrasser le comptoir où siégeaient une bouteille de vodka et un seul verre vide. " Je ne m'attendais pas à avoir un tel invité... Qui était pourtant déjà chez moi. "

Mettre de l'ordre lui avait pris même pas 10 seconde et s'essuyant par habitude les mains dans une serviette, il sortit de derrière le comptoir pour se poster devant un escalier : il menait aux appartements du patron. Gohen, devait avoir à peine franchit la porte encore : il fallait dire qu'Enki était une vrai pile électrique.

" L'enfant... Votre autre vous... Est à l'étage : manifestement, sa "fusion" doit être plus délicate pour lui, il est encore inconscient. "

Le serviteur qui ne savait plus où était ses priorités -deux Maîtres chez lui, c'était pas simple...- finit par monter après un regard invitant s'il le voulait le guerrier sayen et démon à le suivre.
L'appartement était petit mais bien rangé... Peu remplit aussi. Dès le palier, une porte sur la gauche menait à l'unique chambre : Enki ouvrit la porte doucement, presque cérémonieusement. L'enfant était là, paisible. Un Gohen miniature. Le serviteur ne put s'empêcher de sourire à la vue des yeux clos si naïfs.

" Il était débordant d'énergie en arrivant. Un vraie gamin prenant le monde pour terrain de jeu. Il avait dans le regard une envie folle de découvrir une vie banale. Mais au fond de lui, il avait la triste sagesse de celui que vous étiez... La fatalité d'un Roi qui sait que tout est éphémère. Il s'est endormit, exténué et ne s'est plus réveillé depuis des jours. "

Enki était appuyé sur le cadre de la porte : s'il le désirait Gohen -le grand- pourrait rentrer voir son double. En attendant, comme respectant l'intimité des deux êtres issus de la même entités, il se refusa d'entrer, et regarda même ailleurs une fois sa réplique finie. Ses yeux se posèrent sur une horloge dans le couloir. 7h du matin.

" Si vous le voulez, j'ai de quoi nous faire un bon petit déjeuner : J'avais prévu pour Lui et moi, mais vu qu'il ne s'est pas encore réveillé, j'ai bien assez pour nous. De toute façon j'ai besoin d'un café. "


Enfin il n'était plus seul le serviteur... Et cela lui plaisait, même si dans ces conditions il n'était pas sûr de l'avenir de Gohen et qu'il s'en inquiétait.

Qu'il était étrange de voir son Maître en présence... de son Maître.
C'était presque gênant pour Enki de montrer à William la façon dont il avait traité l'enfant : c'était comme avoir un miroir de ses actions... Willian pouvait voir qu'Enki l'avait veillé comme on veille un enfant malade, avec la même tendresse qu'un grand frère ou qu'un père peut-être. Il avait peur que cette relation "paternelle" soit malvenue ou mal jugé -après tout même à moitié, l'enfant était le plus grand souverain de leur monde.
Mais le patron de café fut soulagé de voir que le guerrier qui abritait une partie de son Roi éveillé avait l'air de bien prendre la chose : en effet il écouta Enki parlé et avoua que le serviteur connaissait "Gohen" mieux que personne.
De quoi faire sourire le démon, qui n'avait d'yeux que pour son maître.

L'hôte se demandais ce que pouvait bien penser son Maître en présence de sa deuxième "moitié". Il le laissa un moment avant que celui-ci ne sorte de la chambre. Il avait l'air enthousiaste à l'idée de prendre un petit déjeuner tranquille, comme il était rare pour deux démons de leur trampe.
Ravie que l'idée fut bien reçue, Enki commença à descendre l'escalier pour revenir dans la salle du bar.

Mais manifestement, le guerrier avait été secoué de sentir sa propre "aura". Enki sourit un peu en entendant William poser des questions sur cette sensation que cette dernière donnait à qui la ressentait.
Tout en chauffant une poêle pour rapidement faire quelques pancakes, Enki répondit à son maître.

" Vous n'êtes pas le Roi des démons pour rien. Après, j'imagine que sentir sa propre aura dans le corps d'un autre doit être bizarre pour n'importe qui : il doit y avoir de quoi avoir le vertige... "

Enki ne commenta pas d'avantage : il réalisa en un tour de main une petite série de pankake et en quelques minutes une table était dressée : couverts, sirop d'érable, confiture, pankakes et petits pains... S'ajoutaient aussi jus de fruit et lait.
" Il y a du café si vous voulez... "

Enki se servit une tasse et était prêt à servir son maître aussi s'il le désirait. Puis il s'assit alors, une fois que son Roi fut installé. Il avait l'air tout fier d'avoir enfin un invité.
" AH, vous ne pouvez pas imaginer à quel point j'aime passer ce genre de moment calme avec Vous. Enfin, je veux dire... Le dernier c'était avec "l'autre vous", c'est à dire le jeune enfant. - il va falloir qu'on vous différencie avec de vrais surnoms ça devient complexe-. Bref, c'est toujours un plaisir de vous donner ce genre de confort. C'est un cadeau partagé." dit-il en écho avec la dernière réplique de Gohen à propos de la proposition de petit déjeuner.

Puis Enki finit son café à l'écoute des volonté de son maître.
" Il va falloir que je m'habitue à vous appeler William, vu que vous préférez rester discret. D'ailleurs à ce propos, j'avoue être un peu inquiet : si des scientifique sayens -de ce que j'ai comprit- ont pu s'emparer de vous pour désincarner et fissurer en deux votre âme, j'ai bien envie de punir ces hérétiques qui ont osé mettre la main sur mon Roi... " Enki se gardait d'avoir l'air enragé (le moment était si calme) mais rien que d'y penser il en avait mal au ventre. "Bref, Nate à l'air de vous avoir bien soulagé, c'est un ami à moi, comme quoi, les bonnes âmes se retrouvent." Encore une fois Enki était reconnaissant envers le magma : décidément, le scientifique était un
"ange gardien" pour lui.
"Si vous voulez on pourra s'entrainer au complexe sportif de la planète : ça sera plus discret qu'ici et ça me fera pas de mal.... Votre corps doit être encore en état de choc, et il vous faut apprendre à composer un style de combat issu de votre nouveau corps et de ses nouvelles capacités ou souvenirs. J'espère être à la hauteur pour vous aider. ... Avant qu'on ne partes à le recherche de Tytoon... Si vous le voulez bien. "

Enki reposa sa tasse vide. Il regarda William et se rappela des premières paroles de ce dernier à la base de lancement : William, le sayen qui avait fusionné avec Gohen, avait l'air d'être très impulsif, et sachant que le Gohem qui dormait dans le corps d'un gamin était doux comme un agneau, Enki avait peur que ce "Gohen" là soit très violent, voire trop brutal pour atteindre ses objectifs. Enki savait déjà qu'il serait pour un moment l'ombre de William, le suivant partout comme le chien de garde qu'il était. Le serviteur était doublement inquiet pour son demi-maître... alors qu'il y avait encore un autre Roi endormit au dessus.
Les jours qui venaient s'annonçait stressant, mais stimulant.
D'ailleurs, il devrait sans doute compter sur ses amis pour enquêter et simplement passer de bons moment comme celui-ci.

Quand Gohen aurait fini, Enki emporta d'une main abile (et aidé par la magie) tout ce qui était sur la table en cuisine. Il en profita pour décrocher son téléphone et composer le numéro qui figurer sur une carte de visite scotchée au mur.
Bip. Un répondeur. Non-étonné, Enki laissa un message.

" Nate, c'est Enki : dis-moi, je viens de récupérer un certain William qui m'a beaucoup vanté tes mérites en expertise d'âmes scindées... J'avoue que tu ne cesse de m'impressionner. Bref, si à l'occasion tu veux passer prendre un café et en parler, t'es toujours le bienvenu." Puis Enki eut un sourire malicieux, s'apprêtant à ajouter une ânerie : " Et puis comme ça je te donnerais autre chose à manger que tes vieux cookies tout sec. "

Puis il raccrocha, avant de rejoindre son maître et nouvel ami, William.

Le Maître des démons avait l'air troublé, presque préoccupé : il y avait de quoi... Il allait devoir gouter une nouvelle vie, une nouvelle identité... Et gérer le fait d'être à 2 endroits en même temps, avec un autre lui trainant dans la nature. D'ailleurs cette question de l'enfant le stressait manifestement : il voulait s'allier avec son autre lui, mais ne savait pas s'ils devaient être distants ou le protéger comme Enki l'avait fait jusque là.
William continuez à expliquer ses projets, tandis qu'Enki continuait à sourire en s'imaginant présenter William comme un de ses cousins.

Il était clair qu'Enki avait tout le loisir en écoutant le nouveau Gohen -bien plus loquasse qu'autrefois et ce n'était pas un mal !- que ce dernier avait changé : son côté sayen lui donner un nouvel essor que le serviteur avait peur d'avoir du mal à suivre le rythme.
L'idée de s'entrainer au centre sportif avait manifestement beaucoup plu à William, hâtif d'en découdre, même motivé à les inscrire tous deux aux combats de l'espace...
Le dernier combat en compétition d'Enki avait été une catastrophe et l'idée lui plaisait pas spécialement : ce Maître là serait difficile à suivre, c'était certain... Enki allait devoir se remettre au sport...

"Alors que fait ont ? Dit moi ! J'ai un peut envie de me dégourdir." Dit le Roi démoniaque, hâtif d'avoir toutes les réponses à ses questions. Le serviteur debout, vint s'appuyer sur le dossier de sa chaine.
"Ok pour l'entrainement. Je ne me suis pas battu depuis des lustres..."
Il sourit, une idée en tête visiblement. " Quant au problème de votre homologue là-haut, ce n'en est pas un. Tant que l'enfant n'est pas sorti de son sommeil, je propose de ne pas vous soucier de lui : quand il sera éveillé vous verrez ensemble comment vous tracerez vos chemins respectifs : pour l'heure j'ai une idée pour le protéger. "

Enki monta à l'étage, laissant à William le loisir de le suivre. Une fois devant la chambre, le patron de café et démon magicien se concentra un moment et fit une succession de mouvement de doigt au dessus du lit, touchant le sol et les murs de la chambre de temps à autre... Il semblait dessiner un tracé complexe imaginaire, comme s'il tissait une toile imaginaire avec une vitesse étrange. Quand il se stoppa une lueur presque imperceptible encercla un bref instant le lit où dormait à poings fermé le jeune enfant-Roi avant de disparaitre. Enki sourit, ne donnant aucune explication. Il toucha alors son propre front.

"Je suis pas sorti de chez moi depuis des jours pour le surveiller, ça m'a donné du temps pour réviser mes enchantements." Il sourit, fier, avant d'éclaircir. "C'est une sorte de dôme scellé : si quelqu'un entre ou sort de cette zone, le sceau se brisera et j'en serai alerté. Donc s'il se réveille ou si un intrus entre, je pourrais le savoir aussitôt."
Bien entendu, le serviteur, regardant son protégé dans le lit savait que ça empêcherait pas tout danger... mais au moins le jeune Gohen pourrait sortir sans problème de la chambre en cas de réveil.
Enki à son habitude se demanda s'il laissait un mot, mais décida que ce serait inutile : il finirait de toute façon par rejoindre rapidement son Roi en cas de réveil donc...

" Bon, je pense que ça ira comme ça. " En fait, si William avait annoncé qu'il était inquiet de laisser son homologue seul ici, Enki lui était comme un père laissant un enfant malade seul. Il avait envie de laisser milles-et-unes intentions mais se retint... C'était tout de même Gohen, pas un gosse...
Il prit une inspiration et regarda le guerrier cette fois-ci.

" Personnellement je suis prêt pour aller dans le complexe sportif... Le mieux sera le mieux, non ? Alors allons-y." Il sourit, dans sa tenue décontracté, toujours les cheveux noués en une queue de cheval : pas besoin d'une autre tenue pour un entrainement.
Enki s'envola, montrant le chemin à Gohen, laissant le bar fermé derrière lui.