Mise à Jour

La traversée de la métropole jusqu'au Quartier des Affaires se fit en toute quiétude. La foule toujours aussi animée se pressait de part en part sous le soleil de midi, emplie d’espoir ou de fatigue. Les pas résonnaient sur les dalles de béton, comme un million de battements de cœur donnant vie à toutes les artères urbaines construites à perte de vue. Les transports en commun arrivaient et repartaient les uns après les autres, comblés de passagers plus ou moins tendus à l’idée de reprendre leurs horaires de bureau ou soulagés de pouvoir enfin disposer de leur temps libre. Il n’eut aucun mal à se fondre entre leurs ombres, à emprunter des couloirs parallèles imaginaires, à marcher secrètement à côté de ses pompes. Il avait mémorisé l'itinéraire qui était indiqué sur le prospectus, mais il avait affiché la carte sur son affichage tête haute juste au cas où. Où qu’il aille, il se dirigeait toujours dans le bon sens, tant qu’il restait le centre de son propre univers.

Sa dernière venue à Dösatz remontait à quelques jours, et pourtant, ce fut comme si c'était il y a des années. L’urbanisation toujours plus démesurée de la planète n’était pas sans lui rappeler Promethée avant la chute de Atlas, avant que le ciel ne se couvre d’une nuit noire sans fin à la lumière des néons.

Au bout de quelques minutes de marche soutenue, le tumulte débordant du domaine de loisir bâti à la gloire de l’industrie Stinger se manifesta dans toute son abondance, véritable assemblée de touristes venus pour se détendre à l’ombre de leurs parasols et profiter des attractions que le parc aquatique avait à offrir pour quiconque déboursait suffisamment de son temps et de ses précieuses économies.

"Zer0 ! Après on va à Tropicaland ?! C'est sur la route ! Viens, on y va ! Allez allez allez allez !"

Comme à son habitude, le nécromancien ne manquait pas de donner matière à ses pensées avant même que son esprit n’ait fini de les former. Le Nombre avait vécu tant de temps avec sa propre personne qu’il lui était encore difficilement envisageable qu’un autre être puisse avoir accès à son activité subliminale et encore moins qu’il puisse la partager. Une violation de son intimité en bonne et due forme. Néanmoins, la contrepartie à tout ceci en valait bien la peine, sans quoi il n’aurait jamais conclu en premier lieu le pacte qui les unissait désormais.

"Oublie pas Tropicaland !"

Son regard inspecta les contours de l’immense statue de douze mètres de haut à l’effigie du troisième Boss Stinger, dont les actions avaient assuré la prospérité de Dösatz jusqu’à la fin des temps. Un homme à la carrure trop large, à la richesse monumentale et à l’ego démesuré sur la tête de qui aucun contrat d’assassinat n’oserait être posé. Pourtant, lors de son précédent passage sur la planète, la mission qui lui avait été donnée s’était déroulée dans des conditions bien énigmatiques. L’élimination d’une personnalité politique. Un commanditaire privé à l’identité inconnue. Une somme d’argent comme jamais on le lui avait promis auparavant. Maintenant qu’il ressassait toutes ces modalités, ce qui semblait n’être qu’un contrat parmi tant d’autres prenait toute son importance.

" Plus tard. "

Malgré sa contestation, il fit l’effort de traverser la centaine d’hectares sans pour autant s’interrompre une seule seconde. Le moment n’était pas à flâner et à se détendre, mais à mobiliser sa concentration s’il voulait mener sa mission à bien. S’être laissé aller à de telles futilités l’avaient déjà désavantagé par le passé : la dernière fois qu’il s’était rendu à Tropicaland, une escale qui n’était supposé lui prendre que quelques minutes s’était transformée en une multitude de péripéties qui lui avaient causé une migraine comme il n’en avait pas eu depuis des siècles. Encore aujourd’hui, il se demandait si tout ceci n’était qu’une hallucination causée par la chaleur étouffante ou si le fait qu’il ait vu la statue prendre vie et se mouvoir était bel et bien une réalité.

"Je vais t’en faire voir des coupures budgétaires, crachin de foutre !"

Quoiqu’il en soit, il n’avait pas que ça à faire tandis qu’il s’approchait lentement mais sûrement de ses objectifs. Quelques précautions restaient à prendre et s’il n’était pas interrompu dans son ascension, tout ceci ne sera qu’une formalité.

Le siège social de la Money Making Corporation était un ensemble de bâtiments dont l’architecture brutaliste était rehaussée de quelques bandes de peinture colorée jurant avec le béton gris clair de ses murs. Malgré son accessibilité, l’entrée ne donnait pas sur une avenue passante et offrait donc un minimum de discrétion. Le mercenariat était loin d’être une activité illégale dans la métropole, mais elle n’était pas toujours très bien encadrée en dehors de quelques entreprises renommées. Que la seconde plus grande agence de mercenaires possède des immeubles récemment mis aux normes témoignait de leur professionnalisme, surtout lorsque leurs affiches publicitaires vantaient leur nombre de mises en relation, la qualité de leurs services ainsi que l’indice de satisfaction de leur clientèle.

Un ensemble de fourgons était garée non loin, attendant de rallier des territoires plus vierges. A leur bord, trois jeunes mercenaires réglaient leurs derniers préparatifs. Mais ce n’était pas pour aller à leur rencontre qu’il était venu. L’une d’elle lui laissa un étrange sentiment. Une incongruité qui n’était pas sans résonner avec la sienne, à l’écart de toute logique de temps et d’espace. Sa contemplation s’évanouit aussitôt les portes automatiques franchies.

"Bienvenue à la Money Making Corporation. Comment puis-je vous aider ?"

Il se rapprocha de l’androïde situé au guichet d’accueil tandis que le convoi démarrait vers sa prochaine destination. Il ne possédait pas beaucoup d'indices mais le peu qu'il savait devrait faire l'affaire, raison pour laquelle il avait pris la peine de se rendre à cet endroit.

" Je cherche quelqu’un. " répondit-il d’un ton monotone.

"L’accès au registre est réservé aux contractants ou aux commanditaires possédant un dossier à leur nom. Etes-vous enregistré dans notre base de données ?"

D’un geste élégant, il sortit son enregistreur ECHO et le fit glisser sur le comptoir. L’appareil fut aussitôt scanné par l’androïde, qui parut cesser de fonctionner une fraction de seconde avant de reprendre son protocole :

"Profil détecté. Immatriculation 20121809.0.0 "Zer0" ; ravi de vous revoir. Souhaitez-vous disposer de l’un de nos services ?"

" Je cherche... quelqu’un. " répéta-t-il, impassible derrière son casque.

"Veuillez patienter tandis que j’envoie une requête au service général de recensement."

Le robot humanoïde s’empressa alors d’accomplir sa tâche, comme pour tenter d'échapper à l'ombre imposante de l’assassin en face de lui. Le Nombre se contenta d’attendre la suite de la procédure en silence, comptant une par une les secondes qui le séparaient de l’inéluctable conclusion.

Heureux de vivre tout en étant mort, il se voyait déjà s'amuser comme un petit fou dans un manège de Tropicaland ! Il fallait dire que ce magnifique parc d'attractions pouvait facilement prendre toute la journée à une personne pour en faire le tour... Dormir dans l'un des meilleurs hôtels de cette planète semblait d'ailleurs une coutume bien ancrée pour ceux désirant en faire vraiment le tour ! Mais... Xendor n'avait pas besoin de sommeil. Il s'agissait surtout d'habitude qu'il avait pris pour mimer d'être toujours envie, et de toujours avoir des besoins. Vous savez, à certains moments, il est de bon ton de ne pas oublier qu'on était vivant ! "Lol ! Je suis mort depuis tellement longtemps que j'en ai oublié comment rigoler ! Alors je rigole fort ! Hahahahahaha !" Bon, trêve de plaisanterie... Ils avaient une mission à mener ! Ou plutôt, à compléter. Ou bien... En vérité, il savait pas trop. Il ne faisait que suivre son charmant Champion qui semblait avoir des choses à régler !

"Il est trop bien ce parc ! Regarde, ils ont même une statue de Wulhut l'inarrêtable !"

Et quelle statue de grâce ! De vie ! D'élégance ! Et de papier. Oui, c'était en réalité des enfants qui s'amusaient dans un atelier bricolage, ayant créé un Wulhut en papier. Juste à côté, une jarre. Sûrement pour rappeler les heures sombres de notre histoire, avant l'arrivée du Mafuban du héros Pythartar le têtard. N'oublions jamais. "Never forget Rafhen Schafer, a great heros..." Un anglais de merde, non ? Bon en tout cas, il s'amusait bien ! C'était déjà ça de gagner ! Puis bon, pour ce fantôme, il en fallait peu pour l'amuser. Toujours sur le dos de Zer0 en tant que cape, il ressemblait à un grand Seigneur démoniaque de son temps. Mi-cyber mi-démon. Le futur touchait même l'Enfer, maintenant. "Tu sais quoi ? On va aller manger un churros après cette mission. J'ai envie d'un churros. T'as déjà mangé des churros ? C'est bon les churros. Paraît que c'est meilleur avec du nutella. Sinon après, on pourrait aller au Flunch. Tu sais que, à ce qu'il paraît, ils font des frites au nutella ! Le meilleur dans l'histoire c'est qu'ils les font griller devant toi !" Une vieille légende qui n'a jamais été prouver.

"POUAAAAA LE BOUZIN TOI !"

Un bâtiment énorme se présentait à eux, avec sur le "parking", des mercenaires se préparant pour partir en mission. Le regard de son petit protégé se perdait sur l'un d'entre eux, pendant un petit moment. "T'as pas de temps à perdre en batifolage, mon grand ! On doit avancer ! Hophophop !" Mimant des mains avec sa brume, il tapotait sur son bras droit invisible. "Encore une pouffiasse de robot. J'en ai marre de ces machines ! Viens on l'explose avec ! OH j'ai une meilleure idée, encore ! ON EXPLOSE TOUT LE BÂTIMENT ?!" Puis il réfléchissait un léger moment... Un léger... Léger moment... "... Non, c'est pas une bonne idée. Sortons du bâtiment, d'abord. Donc... Ah bah, faut finir ce que t'as à faire, du coup... Oui, c'est ça !" Et il se sentait intelligent... Décidément, le pauvre assassin n'était vraiment pas bien loti avec un allié aussi imprévisible. Dans tous les cas, son partenaire avait enfin mis en place son espèce de passe ECHO, faisant avancer le dialogue avec l'IA.

"Elle va se dépêchait cette foutue machine ? T'es sûr je peux pas l'exploser ?"

Il suffisait d'une mauvaise expérience avec une machine pour créer un traumatisme. Mais loin d'être traumatisé, il haïssait surtout la technologie, maintenant. Sauf quand il jouait à la console. Là, il aimait bien la technologie. C'était très changeant d'une situation à une autre. Fallait dire qu'il en avait des choses à essayer ! Et qui de mieux que son meilleur copain pour la vie pour lui faire essayer des choses cool ? Autre que l'assassinat, bien sûr. C'était cool l'assassinat. Mais fallait aussi varier les plaisirs, sinon ça risquait de devenir une routine. Et quand la routine s'installe, c'est mauvais signe. C'était pour ça qu'en même temps que tout ceci se faisait, Zer0 venait de se faire interrompre dans sa marche par un zombie de Xendor. Oui, celui-ci avait... Des churros plein les bras. "Bah, d'où il vient, lui ?..." Sifflotant, il attrapait les churros en même temps que l'IA faisait sa requête au service général de recensement... Après-tout, rien n'interdisait de manger pendant l'attente, non ?

"T'en veux ? : D"

L’impression laissée par l’étrange mercenaire n’était pas sans lui évoquer quelque chose de… familier. Pourtant, ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Etaient-ils voués, tôt ou tard, à croiser leurs lames ? Ce pressentiment n’était pas anodin. Après tout, c’était cette même intuition qui l’avait saisi lorsque son itinérance avait croisé celle du Masque de Fer, ce septième sens qui le persuadait d’entrevoir les motifs que formaient les fils de la destinée. Hélas, les probabilités de retrouver ce dernier étaient désormais proches du néant ; si seulement les aléas de l’univers ne lui avaient pas fait prendre tant de détours avant de parvenir à sa destination initiale.

"T'as pas de temps à perdre en batifolage, mon grand ! On doit avancer ! Hop hop hop !"

Incapable de tenir en place plus d’une seconde, l’Enchanteur prit ses aises en allant de ses petits commentaires sur tout ce qui se passait.

"Encore une pouffiasse de robot. J'en ai marre de ces machines ! Viens, on l'explose avec ! OH j'ai une meilleure idée, encore ! ON EXPLOSE TOUT LE BÂTIMENT ?!"

Heureusement, les conséquences de ses actions s’arrêtaient aux limites mentales de son alter ego qui, bien que potentiellement infinies, n’étaient pas capables de concrétiser quoi que ce soit d’autre sur la matière que leurs propres pulsions.

"... Non, c'est pas une bonne idée. Sortons du bâtiment, d'abord. Donc... Ah bah, faut finir ce que t'as à faire, du coup... Oui, c'est ça !"

Sans détourner son regard du bureau d’accueil, le Nombre considéra pendant un instant la possibilité que même un défunt puisse connaitre quelque chose d’aussi mortel que l’ennui.

" Patience. "

C’était sans doute pourquoi son mécène se confondait en facéties et en absurdités de toutes sortes : en continuant de se manifester, il assurait son existence dans un plan ou un autre de la réalité. Sans cela, il disparaitrait d’une seconde à l’autre dans les limbes de l’indifférence.

"Elle va se dépêcher cette foutue machine ? T'es sûr que je peux pas l'exploser ?"

Son aversion envers les miracles de l’intelligence artificielle semblait suffisamment prononcée pour qu’il en vienne à des envies aussi destructrices, mais son champion n’aura aucune intention de les satisfaire.

" Non. "

Néanmoins, dans son souci de rendre leur attente plus agréable, le Nécromancien avait discrètement joué les invocateurs en convoquant une âme damnée puis en ordonnant à cette dernière de jouer les serviteurs dévoués. Ainsi, des pâtisseries qu’il n’avait jamais vu auparavant lui furent proposées : fourrées à la confiture de lait, trempées dans du chocolat chaud épais ou saupoudrées de cannelle, elles n’attendaient que d’être dégustées sous le regard enjoué de son mécène. D’ailleurs, ce dernier ne perdit pas de temps pour ouvrir les hostilités et s’en empara d’une main gourmande.

"T'en veux ? :D"

En raison de son endurance hors norme et de son métabolisme unique, Zer0 ne se devait pas de subvenir à ses besoins physiologiques aussi souvent que tous les autres êtres vivants. Mais comme toute personne normalement constituée, son anatomie était pourvue de papilles gustatives et d’un odorat développé qui le rendait intéressé par les senteurs riches et sucrées qui parvenaient à travers les capteurs olfactifs de sa combinaison.

" Pourquoi pas. "

Ses doigts appliquèrent une brève pression sur son casque et ce dernier s'entrouvrit légèrement à hauteur supposée de sa bouche, suffisamment pour laisser de la nourriture passer, mais suffisamment pour qu'aucun millimètre de son visage ne puisse être visible. L’un de ces "churros" fut aussitôt mâché et assimilé sans le moindre bruit : même dans ses gestes les plus ordinaires, le tueur à gages savait se faire modeste.

"Gras" fut le premier mot qui lui vint à l’esprit pour qualifier ce qu’il était entrain de manger, mais cela n’en restait pas moins agréable. Cela lui rappela les quelques moments de tranquillité qu’il s’accordait de temps en temps entre deux missions, dans les quartiers colorés de Lectra City ou au détour des ruelles de Meridian. Néanmoins, ce n’était pas aussi délectable que le morceau de gibier qui lui avait dépecé et servi lors de sa rencontre avec le chasseur Hish-Qu-Ten et son coutelas enchanté Peine. Perdu dans ses souvenirs, le Nombre se demanda ce qu’ils étaient devenus depuis leur départ des bases de lancement de la planète Freezer. Il était toujours en possession du chakram que ce dernier lui avait donné — et il songeait encore aujourd’hui à lui remettre un présent de même valeur en retour, en gage de reconnaissance, si toutefois ils se recroiseraient un jour.

Quelques minutes passèrent dans un silence confortable, avant que l’androïde ne revienne en leur direction.

" Immatriculation 20170310.0.4 "Quatre" ; aucun profil n’est enregistré dans nos bases de données. Ce profil est soit inexistant soit erroné. Souhaitez-vous lancer une nouvelle requête ? "

Le poing du Nombre se précipita soudainement contre la surface du bureau, de l’autre côté de la vitre renforcée qui protégeait le personnel de toute tentative d’agression.

" Je vais répéter ma requête. "

Une tension palpable s’était installée dans l’atmosphère. Une électricité statique se mit à courir comme à l’annonce d’un orage.

" Pour la dernière fois. "

Dépourvu de libre arbitre et d’émotions, la machine resta sans un mot face à la frustration sourde du tueur à gages. Mais à travers les caméras qui lui servaient de globes oculaires, une légère perturbation dérégla son temps de latence.

" Je cherche à savoir si le tueur à gages répondant au pseudonyme de "Quatre" existe. "

Cela ne ressemblait pas à l’énigmatique assassin de se confondre en une telle logorrhée, mais plus le dénouement qu’il anticipait se confirmait, plus son langage perdait de son élégance et de sa retenue habituelle.

" Immatriculation 20170310.0.4 "Quatre" ; le service interplanétaire de recensement ne comporte aucun profil répondant à cette dénomination. En fait, ce matricule n’a jamais été enregistré. "

Les sables du temps s’étaient suffisamment échappés d’entre ses doigts, et le Chiffre en avait emporté une poignée bien trop précieuse dans sa disparition.

" Il se pourrait que la personne que vous recherchiez soit décédée, qu’elle ne se trouve plus dans l’univers 7 ou qu’elle ne se trouve plus dans notre temporalité. "

La visière de Zer0 resta neutre, comme un écran qui aurait momentanément cessé de fonctionner.

" Il se pourrait que la personne que vous recherchez n'existe plus. "

Ainsi, ses recherches venaient de connaitre une énième conclusion sans suite.  Poursuivre ces sentiers illusoires reviendrait à se perdre vers davantage de déconvenues. Entre les allers et retours de planète en planète, les contrats discontinus et les accords sine qua non : toutes ces prises de risques sans récompenses l’avaient bien trop éloigné de ses premières obsessions.

" Souhaitez-vous accéder à un autre de nos services ? "




" Partons. "

Seul le Nécromancien qui le suivait désormais comme son ombre semblait déterminé à lui rester fidèle. Mais dans le monde impitoyable du crime, tout restait une question d’intérêt personnel. Qu’il s’agisse de se faire des ennemis ou des partenaires, les professionnels de sa trempe ne se basaient jamais sur la confiance pour parvenir à leurs fins, mais sur des engagements à court terme qui ne compromettraient pas leurs réputations. Instaurer de la confiance nécessitait beaucoup d’effort, mais seulement quelques instants pour la perdre irrémédiablement : rien n’était moins rentable comme investissement, surtout lorsqu’il s’agissait d’obtenir des primes avantageuses ou des informations confidentielles.

Tandis que ses pas le guidaient vers la sortie du siège social de la Money Making Corporation, un étrange sentiment envahissait son esprit et son cœur. Le Masque de Fer avait tiré sa révérence sans même saluer son public, jugeant la performance de ce dernier trop peu digne de sa personne. Non seulement leur perspective de rivalité n’avait pas abouti, mais en plus de cela, elle n’a jamais été et ne sera jamais réciproque. Un vrombissement de déception et d’insatisfaction fut contenu sous le casque du Nombre, lui qui avait cru voir un possible épanouissement en leurs futures interactions.

Quoiqu’il en soit, tout cela lui avait rappelé qu’il ne pouvait plus compter que sur sa propre personne pour mener ses plans à bien — ainsi que sur le mécène qui s’était curieusement passionné pour son savoir-faire.

" Ne retardons pas plus longtemps l’inéluctable. "

Mais pour Zer0, l’excellence n'était pas un art : c'était une pure habitude. Il était devenu ce qu’il avait toujours fait et ce qu’il continuera à faire à plusieurs reprises. Et suite à cette interlude, il était temps d’apporter une conclusion à la tragédie qu’il avait commencé à mettre en place pour son ennemi juré, la cause de ses obsessions et de son inexorable vengeance : celle de sa mort, dans une souffrance aussi atroce que celle dans laquelle ses compagnons avaient été sacrifiés sur l'autel de sa gloire.

Heureusement que Xendor était là ! Grâce à lui, cette attente interminable était devenue bien plus appréciable. Après-tout, n'avait-il pas offert à son Champion un bon petit amuse-gueule ? Il était content de lui. Très content, même ! Il allait enfin le voir manger quelque chose ! Une gourmandise exquise pour les babines ! Mais pouvions-nous vraiment dire que ce charmant assassin avait des babines ? Il avait un casque. Et même pour manger, il ne le levait qu'à moitié pour s'empiffrer. Il était déjà si rare de le voir se faire plaisir ! C'était un petit moment de détente, maintenant ! Jusqu'à ce que la machine défectueuse vienne apporter les mauvaises nouvelles, maintenant qu'ils avaient enfin accès au bureau du secrétariat. La chose que semblait rechercher son combattant n'avait finalement donné aucun signe de vie... De ses dires, il n'existait même pas ! Ou plus ? Ou à moitié ? Peu importe, il n'était pas là. On ne pouvait pas le trouver tout de suite. Et il était drôle de voir à quel point cet être énigmatique pouvait se cacher !

"Si il vous dit qu'il existe, c'est qu'il existe ! Mon Champion ne dit jamais de connerie !... En vérité, il ne dit jamais grand-chose !? Haem..."

Difficile de parler lorsque seul Zer0 pouvait l'entendre. Mais pour accompagner cette fausse colère, il tapait lui aussi du poing sur le bureau ! En même temps que son allié ! Du coup, la vitre donnait l'impression de se faire entièrement recouvert d'une masse noire déformée au coup donner. Attendez... Zer0 c'était énervé avec lui ? Serait-ce un effet secondaire de l'Union ? Il n'avait fait qu'un réellement durant un court laps de temps, mais il semblerait que l'un comme l'autre, la personnalité des deux zouaves finissaient par déteindre sur l'autre. Xendor était content ! Vous savez pourquoi ? Car plus ils se rapprochaient, plus cela voulait dire que la prochaine Union serait parfaite ! Un niveau incroyable les attendait ! Mais encore fallait-il avoir l'occasion de l'utiliser. Rares seraient les ennemis qui pousseraient le duo dans de tels retranchements. Rares seraient les ennemis qui pouvaient se vanter de tenir tête à un assassin aussi puissant, et son ombre invincible. Maîtres des ténèbres, à eux deux, ils défiaient toutes les logiques mortelles.

"Tes qu'une grosse cruche cybernétique ! Une grognasse ! Une pimbêche ! Même mon Wulhut de compagnie est plus intéressant que toi !"

Nul doute que si cette boîte de conserve l'entendait, elle court-circuiterait instantanément ! Après-tout, les mots étaient forts, et rudes ! Il poussait au suicide, le bougre ! Imaginez vous faire insulter de cruche ! "Allons-y Zer0 ! Cette truie ne mérite pas plus de notre temps !" L'air vexé, le Nécromancien recouvrait son Champion comme pour mimer un redressement d'une veste sur son corps, comme les grandes impératrices des temps modernes suivis d'un "Pfeuh !" à peine audible. "... On fait quoi du coup ?" La question était judicieuse. Il ne savait pas ce qu'ils allaient faire, maintenant. Son partenaire avait sûrement une idée en tête, mais ce n'était pas avec les idées saugrenues de Xendor qu'il allait avoir un plan génial. Lui, ce qu'il voulait, c'était exploser ce bâtiment souiller par la technologie. Au début, il n'avait pas vraiment de reproche à faire au futur ! Mais maintenant, depuis l'histoire avec l'autre frère tyrannique, il avait vraiment les crocs contre la cybernétique !

"Le dernier acte ! Le dernier acte !"

Il était content d'entendre ces mots. Et à ça se suivait un long questionnement qui ne resterait pas si longtemps sans réponse. Après-tout, il voulait savoir ce qu'était ce dernier acte ! Mais pas sans préparer pour son meilleur copain pour la vie un magnifique présent. Sous ses pieds s'ouvrait le portail des Enfers, prêt à l'englober dans son intégralité. Au lieu de ça, il se voyait capable de marcher dessus, sur les ombres qui en sortaient. Il voyait l'apocalypse du monde des morts, mais avait la possibilité d'être surélevé comparé à elle. L'observateur de la mort, et la mort qui protégeait son plus beau combattant. "Bon, choisi ! On explose tout, et on s'en va ? Dans tous les cas, je te suis ! Ooooh j'ai une idée ! Je ramène sa mère, et on la ramone comme Simone ?!" Toujours dans l'excès, le cadavre fantomatique ne voyait aucun scrupule à ramener les vieux créateurs des boîtes de conserve présentes dans le bâtiment. Bien sûr, Zer0 avait probablement une autre idée en tête ? Et toujours bien sûr, il n'était pas seul dans sa tête.